TAXATION DU PRECIPUT AU TITRE D’UN DROIT DE PARTAGE : CENSURE DE L’ANALYSE DU FISC

29.09.23

I. Les faits

Un couple marié a procédé à une modification de son régime matrimonial en 2015 afin de prévoir une clause de préciput au profit du conjoint survivant. Monsieur est décédé en 2016, laissant pour lui succéder son épouse et leurs trois enfants issus du mariage.

Madame a prélevé en toute propriété, à titre de préciput, la résidence principale du couple, leur résidence secondaire ainsi que les meubles meublants garnissant chacun des deux biens immobiliers.

L’administration fiscale a adressé à Madame une proposition de rectification de la déclaration de succession aux fins de soumettre au droit de partage de 2,5% les prélèvements effectués au titre du préciput.

Par jugement en date du 24 janvier 2022, le Tribunal judiciaire de Niort a censuré l’analyse de l’administration conduisant à soumettre à un droit de partage un préciput.

Le fisc n’a pas pour autant jeté l’éponge et a fait appel de cette décision. Il revenait ainsi à la Cour d’appel de Poitiers de trancher.

II. La décision

L’administration fiscale a rappelé dans ses conclusions devant la cour que la doctrine administrative précise (BOI-ENR-PTG-10-10) que le droit de partage est exigible si les quatre conditions suivantes sont réunies :

– l’existence d’un acte ;

– l’existence d’une indivision entre les copartageants ;

– la justification de l’indivision ;

– l’existence d’une véritable opération de partage.

Pour critiquer le jugement dont il est fait appel, l’administration fiscale se prévalait d’un jugement du Tribunal judiciaire de Rennes en date du 20 avril 2021 qui a appliqué la taxation fiscale concernant le partage, au préciput, en indiquant notamment : ‘Peu importe que le préciput, qui fonctionne comme une clause d’attribution préférentielle, s’exerce avant tout partage, puisqu’en réalité, il a les effets du partage en ce qu’il permet un transfert de propriété sur un bien qui ne composait pas le patrimoine du bénéficiaire et qui ne lui est dévolue qu’en raison du décès ouvrant les opérations de partage’.

Il est jugé que la déclaration de succession qui est qualifiée par la Cour de cassation de document purement fiscal est dénuée d’incidence sur le plan civil. Les juges en déduisent qu’aucun acte établi consécutivement à l’exercice du préciput n’a les attributs d’un acte de partage. La quatrième condition n’était donc pas remplie.

L’administration repart donc bredouille de la Cour de Poitiers.

III. Concrètement

On qualifiera ce contentieux d’ubuesque.

Bercy entend taxer au titre d’un droit de partage un préciput. Or, l’article 1515 du Code civil indique :

 « Il peut être convenu, dans le contrat de mariage, que le survivant des époux, ou l’un d’eux s’il survit, sera autorisé à prélever sur la communauté, avant tout partage, soit une certaine somme, soit certains biens en nature, soit une certaine quantité d’une espèce déterminée de biens ».

Le fisc souhaitait donc taxer au titre d’un partage une opération intervenant avant le partage… original non ????

Notre étonnement était aussi intense à la lecture d’une décision du tribunal judiciaire de Rennes venant confirmer l’analyse de l’administration (TJ Rennes n°19-04432 20/04/2021).

Deux autres décisions de tribunaux judiciaires (TJ Niort n°20-01453 22/03/2022 – TJ Lille n°20-03477 04/04/2022) avaient au contraire suivi la voie de la raison et avaient renvoyé le fisc à ses chères études juridiques.

La Cour de Poitiers traitant en appel la décision du TJ de Niort visée ci-dessus a rendu une décision fort logique à nos yeux.

On espère que le fisc va renoncer définitivement à vouloir appliquer son analyse juridique farfelue. A défaut on attendra une punition définitive prononcée par la Cour de cassation.

IV. Source

CA Poitiers 4 juillet 2023, n° 22-01034

Par Excen Notaires & Conseils

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