I. Les faits
Mme FU est décédée le 26 février 2018 et laisse pour lui succéder trois frères et deux sœurs prédécédées qui laissent elles-mêmes leurs enfants. La de cujus a rédigé quatre testaments :
- Un testament olographe du 23 septembre 1987 dans lequel elle instituait son frère M. P légataire universel, à défaut sa sœur Y ;
- Un testament olographe du 16 février 2008 dans lequel elle instituait son frère M. P légataire universel ;
- Un testament authentique du 22 avril 2008 révoquant toute disposition antérieure et instituant son frère M. P légataire universel et en cas de prédécès de celui-ci sa sœur Y ;
- Un testament olographe du 10 octobre 2010 par lequel elle annule son testament du 16 février 2008 et dans lequel elle précise le motif de sa révocation :
« Motif : Hospitalisée au printemps 2010, puis en convalescence, mon frère M. P s’est contenté de faire appel à un juge des tutelles pour faire adopter à mon endroit ‘un mandat de protection future’ me privant, depuis, de toute liberté élémentaire, sans même en aviser un conseil de famille, trahissant de cette façon la confiance que je lui accordais précédemment. »
Le contexte de la rédaction du dernier testament : A la suite d’un accident vasculaire, la défunte a été placée sous sauvegarde de justice par ordonnance du Juge des tutelles du 1er juillet 2010, mesure qui a ensuite été transformée en curatelle renforcée par ordonnance du 7 janvier 2011, puis en tutelle par ordonnance du 29 avril 2014.
A la suite de son décès, M. P a contesté la validité du dernier testament, bloquant alors le partage amiable de la succession.
Les deux frères et l’un de leurs neveux ont de ce fait assigné M. P et les autres neveux afin d’obtenir la révocation du testament du 16 février 2008 et voir la succession dévolue à ses frères, sœurs et neveux venant par représentation.
Le Tribunal judiciaire a débouté M. P de sa demande d’annulation du dernier testament pour insanité d’esprit. Les juges considèrent que ce dernier testament a révoqué expressément le testament olographe du 16 février 2008 et qu’il est incompatible avec la partie du testament authentique où M. P est désigné légataire universel. En conséquence, ils en déduisent que le legs subsidiaire est sans objet et caduque.
M. P a alors interjeté appel de cette décision.
II. La décision
- Sur la validité du testament du 10 octobre 2010
Le Cour déboute M. P de sa demande d’annulation du dernier testament pour insanité d’esprit. Elle rappelle que l’insanité d’esprit ne doit pas être confondue avec l’altération des facultés mentales, cause d’ouverture d’une mesure de protection, même si, dans certaines circonstances, les deux notions peuvent se recouper.
En l’espèce, M. P ne démontrait pas que l’altération des capacités de la testatrice était d’une gravité telle au moment de la rédaction du testament litigieux, qu’elle n’était pas en mesure d’exprimer librement et lucidement sa volonté.
- Sur les conséquences de la validité du dernier testament olographe
Le dernier testament olographe n’étant pas annulé, il vient donc révoquer expressément la désignation de M. P en légataire universel et conduit donc, incidemment, à la caducité du legs universel subsidiaire. La cour confirme donc la décision des juges sur ce motif.
S’agissant du testament authentique du 22 avril 2008 désignant M. P légataire universel, la Cour se fonde sur l’article 1036 du Code civil et confirme le jugement du Tribunal en ce qu’il a dit que le dernier testament est incompatible avec la partie du testament authentique relative à la désignation de M. P en qualité de légataire universel.
En effet, la testatrice ayant détaillé clairement les raisons de la révocation du testament olographe désignant M. P comme légataire universel, il est indiscutable que toute autre stipulation testamentaire qui désignerait M. P comme légataire universel était incompatible avec ses dernières volontés.
III. Concrètement
Cet arrêt est l’occasion de revenir sur les procédés de révocation d’un testament et plus précisément sur les révocations tacites.
Le législateur énumère limitativement deux types de révocation :
- La révocation expresse c’est-à-dire volontaire prévue à l’article 1035 du Code civil par laquelle le testateur rédige un testament révocatoire ou procède par un acte devant notaires portant déclaration du changement de volonté. Cette révocation n’est pas soumise à un strict parallélisme des formes : un testament olographe peut être rédigé afin de révoquer un testament authentique.
- La révocation tacite qui est fondée sur la volonté révocatoire du testateur et l’interprétation souveraine des juges du fonds.
Afin de limiter toute interprétation des juges du fonds, il est opportun pour le testateur de révoquer, dans son dernier testament, l’ensemble des dispositions antérieures.
IV. Source
CA Versailles n°21/03587 11/04/2023
Par Excen Notaires & Conseils