REBONDISSEMENT DEVANT LE CONSEIL D’ETAT
I. Les faits
La société Y, membre du groupe fiscalement intégré X, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité. L’administration a considéré que la cession, à une autre filiale du groupe, de l’intégralité des titres non cotés de la société Z avait été réalisée à un prix inférieur à leur valeur réelle et a estimé que l’écart de 10’032’885’euros existant entre le prix de cession déterminé par les parties et le prix rectifié par le vérificateur constituait une libéralité devant être réintégrée dans les résultats de la société vérifiée. Cet écart était d’un peu plus de 14% par rapport au prix retenu par le cédant.
Par une décision du 26 octobre 2021, le Conseil d’État a censuré cette analyse et a renvoyé l’affaire devant la Cour d’appel de Versailles qui a rendu sa décision le 7 juin 2022. À la suite d’un second pourvoi en cassation du Ministre à l’encontre de cette nouvelle décision, il revenait au Conseil d’État de boucler l’analyse.
II. La décision
Après avoir relevé que la différence entre le prix reconstitué et évalué par l’administration fiscale selon la méthode d’évaluation mathématique et le prix de cession convenu entre les parties s’établissait à 14,1 %, la Cour administrative d’appel de Versailles avait jugé que, compte tenu de l’aléa inhérent à toute méthode d’évaluation de titres non cotés et de l’absence de circonstances particulières à l’espèce, cet écart de prix ne pouvait être regardé comme présentant un caractère significatif.
Le Conseil d’État estime qu’en statuant ainsi, alors que d’une part, elle avait précédemment relevé que la société, dont les titres étaient cédés, était en cessation d’activité progressive et que son actif net était essentiellement constitué d’un portefeuille de placements de trésorerie pour valider, eu égard à cette situation particulière, le recours à la seule méthode d’évaluation dite patrimoniale ou mathématique pour déterminer la valeur vénale de ces titres et que, d’autre part, ces mêmes circonstances particulières à l’espèce étaient également susceptibles d’avoir une influence sur le caractère significatif de l’écart de prix, la Cour a entaché son arrêt d’une contradiction de motifs.
L’évaluation a été effectuée par l’administration pour une méthode patrimoniale. Les juges écartent toutes possibilités de décote de cette valeur.
Selon eux, le prix de cession des titres était correctement déterminé par le fisc.
L’écart de 14,1 % constaté doit être regardé, eu égard à la situation particulière de la société, comme significatif. En l’absence de toute justification de l’existence d’un intérêt pour la société à cette cession à prix minoré, l’administration doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de cette minoration et de l’existence d’une libéralité imposable.
III. Concrètement
La Haute Cour rappelle que la valeur vénale d’actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l’ensemble permet d’obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu’aurait entraîné le jeu normal de l’offre et de la demande à la date où la cession est intervenue. L’évaluation des titres d’une telle société doit être effectuée, par priorité, par référence au prix d’autres transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires. Toutefois, en l’absence de transactions intervenues dans des conditions équivalentes et portant sur les titres de la même société ou, à défaut, de sociétés similaires, l’administration peut légalement se fonder sur l’une des méthodes destinées à déterminer la valeur de l’actif ou sur la combinaison de plusieurs de ces méthodes.
Par ailleurs, il est souligné que constitue un acte anormal de gestion l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. S’agissant de la cession d’un élément d’actif immobilisé, lorsque l’administration, qui n’a pas à se prononcer sur l’opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, soutient que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu’elle a retenue et que le contribuable n’apporte aucun élément de nature à remettre en cause cette évaluation, elle doit être regardée comme apportant la preuve du caractère anormal de l’acte de cession si le contribuable ne justifie pas que l’appauvrissement qui en est résulté a été décidé dans l’intérêt de l’entreprise, soit que celle-ci se soit trouvée dans la nécessité de procéder à la cession à un tel prix, soit qu’elle en ait tiré une contrepartie.
A la lecture des jurisprudences antérieures, il apparaissait que le pourcentage de tolérance retenu par le Conseil d’État était de l’ordre de 20%.
Cette décision est donc plus sévère. Pour autant les circonstances de l’affaire étaient toutefois particulières, et il ne s’agit probablement que d’un cas d’espèce.
On suivra avec attention les prochaines jurisprudences traitant de cette question.
IV. Source
Conseil d’État, 9ème – 10ème chambres réunies, 07/04/2023, 466247
Par Excen Notaires & Conseils