I. La question
Le Parlementaire a soulevé les difficultés liées au décès du débiteur d’une prestation compensatoire versée sous forme de rente viagère. En effet, le décès du débiteur ne met pas fin à l’obligation de paiement qui constitue un passif successoral.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, les personnes ayant divorcé avant le 1er janvier 2000 ont la possibilité de demander au juge civil une révision, voire la suppression de la rente viagère de prestation compensatoire.
De plus, le paiement de la prestation compensatoire est, depuis cette réforme, prélevé sur la succession et dans la limite de l’actif successoral et non sur les biens propres des héritiers. Le Parlementaire soulignait que la révision ou la suppression ne sont possibles que lorsque le maintien de la prestation en l’état procurerait au créancier un avantage manifestement excessif au regard de son âge et de son état de santé ; « ce qui réduit considérablement les cas de figure ».
Fort de ces éléments, on estime actuellement qu’il existe 50 000 débiteurs(trices) de prestations compensatoires sous forme de rente viagère avec un âge moyen de plus de 80 ans.
Considérant comme « assez injuste » aux yeux des héritiers du débiteur, d’avoir à honorer une dette qu’ils n’ont pas contractée, le Parlementaire a demandé au Ministre de la justice s’il pouvait être envisagé de modifier l’article 280 du Code civil afin de supprimer la dette au décès du débiteur pour les divorcés d’avant 2000.
II. La réponse
Le Ministère rappelle que la prestation compensatoire vise à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives des époux. Ces dispositions codifiées à l’article 270 du Code civil, poursuivent un but légitime de protection du conjoint dont la situation économique est la moins favorable au moment du divorce (Cass. 1re civ., 30 nov. 2022, n° 21-12.128).
Aussi, au décès de l’époux débiteur, le paiement de la prestation compensatoire (que ce soit sous forme de capital ou de rente) se réalise sur le patrimoine du défunt, donc sur l’actif successoral.
Le Ministre rappelle que le paiement de la prestation compensatoire s’effectue dans la limite de l’actif successoral, les héritiers, bien qu’acceptant, ne sont donc pas tenus personnellement au paiement de la prestation compensatoire. En cas d’insuffisance, le paiement est supporté par tous les légataires particuliers, proportionnellement à leur émolument, sous réserve de l’article 927 du Code civil.
Par dérogation à l’article 280 du Code civil, les héritiers peuvent décider ensemble de maintenir les formes et modalités de règlement de la prestation compensatoire qui incombaient à l’époux débiteur, en s’obligeant personnellement au paiement de cette prestation. Dans ce cas, les héritiers bénéficient des mêmes actions qu’avait le débiteur pour demander la révision de la prestation compensatoire :
- Si la prestation compensatoire consiste dans le versement d’un capital, l’héritier, en cas de changement important de sa situation, peut demander un rééchelonnement des versements indexés (article 275, al. 2, par renvoi de l’article 280-1, al. 2 du Code civil).
- Si la prestation compensatoire est fixée sous forme de rente, elle peut être révisée, suspendue ou supprimée en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l’une ou l’autre des parties, sans que la révision puisse avoir pour effet de porter la rente à un montant supérieur à celui fixé initialement par le juge (article 276-3, par renvoi de l’article 280-1, al. 2 du Code civil).
- La substitution d’un capital à la rente peut être demandée par un héritier ou le créancier dans les termes de l’article 276-4 du Code civil.
Fort de ces éléments, le ministère de la Justice n’envisage pas de modifier l’article 280 du Code civil.
III. Concrètement
La détermination du montant d’une prestation compensatoire et de ses modalités de paiement constituent régulièrement une question délicate à traiter dans les situations de divorce.
En pratique, les débats sont en général concentrés sur la détermination du montant de la prestation compensatoire. Les modalités de paiement sont souvent (trop) reléguées au second rang. Le paiement de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère constitue une charge importante qui est transférée aux héritiers du(de la) débiteur(trice) si le(la) créancier(ère) est toujours en vie. Même si les héritiers acceptants ne peuvent plus être personnellement tenus au paiement de cette charge, une partie plus ou moins grande de l’actif successoral peut être absorbée par ce passif.
Depuis le 1er janvier 2000, le paiement de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère constitue une exception et doit être spécialement motivée en raison de l’âge ou de l’état de santé du créancier (c. civ. art 276). In concreto, les situations de rente viagère sont assez rares et surtout concernent des débiteurs relativement âgés aujourd’hui.
On ajoutera que les modalités de paiement de la prestation compensatoire impactent le sort fiscal de cette dernière tant sur la situation du débiteur que sur celle du bénéficiaire.
IV. Source
RM LOTTIAUX n°2083 JOAN 28/02/2023
Par Excen Notaires & Conseils