UNE DECISION CONTRAIRE A L’INTERET DE L’ENTREPRISE MAIS SOCIALEMENT OU ECOLOGIQUEMENT RESPONSABLE, CONSTITUE-T-ELLE UN ACTE ANORMAL DE GESTION ?

08.05.23

I.  La question

Le Parlementaire a attiré l’attention du Ministre à propos de la manière dont doivent être traités, d’un point de vue fiscal, les actes de l’entreprise qui tiennent compte des enjeux sociaux et environnementaux.

Il a en préalable rappelé les objectifs et mesures de la loi PACTE adoptée le 22 mai 2019. Cette dernière impose à chaque société d’être gérée « dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».

Cette disposition incite la société à dépasser les considérations financières et à porter une attention raisonnable aux enjeux sociaux et environnementaux. Elle incite également à la prise en compte du long terme et des impacts positifs comme négatifs sur les différentes parties prenantes, tout en cherchant à préserver et à accroître sa capacité à créer de la performance de long terme.

La loi Pacte permet ensuite à une société de se doter d’une raison d’être, avec l’idée de préciser, justifier et valoriser en quoi l’entreprise apporte une réelle utilité pour ses parties prenantes, pour l’environnement et le reste de la collectivité. La loi Pacte permet également à une société de faire publiquement état de la qualité de société à mission.

Les sociétés qui ont adopté une raison d’être ou la qualité de société à mission, peuvent ainsi agir dans l’intérêt commun au-delà de ce que requiert leur strict intérêt social.

Pour le Parlementaire, la loi PACTE nécessite que l’acte anormal de gestion soit défini et apprécié autrement que comme s’entendant d’un acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir délibérément à des fins étrangères à son intérêt, c’est-à-dire à sa capacité de produire des profits, sans aucune contrepartie financière pour l’entreprise ou une contrepartie hors de proportion avec l’avantage que le tiers peut en retirer.

Selon lui, l’administration devrait désormais tenir compte du fait que l’intérêt de la société n’est pas son seul intérêt économique immédiat. Elle devrait prendre en considération sa performance de long terme dans l’intérêt collectif de ses parties prenantes, tout particulièrement pour apprécier si un acte qui cause un préjudice immédiat à la société ne trouve pas une contrepartie proportionnée de long terme pour la collectivité.

Selon l’auteur de la question, une décision prise dans l’intérêt social d’une société ne devrait donc pas être sanctionnée sur le fondement de l’acte anormal de gestion. La définition d’un tel acte devrait être réformée à la lumière de ce qui précède.

Ne devraient également plus constituer un acte anormal de gestion les actes de l’entreprise prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux au-delà de ce que voudrait leur strict intérêt, à partir du moment où ils créent des externalités positives ou réduisent des externalités négatives dans l’intérêt général de la collectivité ou de l’environnement.

Elles soulagent ainsi l’État de responsabilités qui sont les siennes. Il serait difficilement compréhensible que la puissance publique encourage les sociétés à adopter une raison d’être ou à poursuivre une mission, sans en tirer toutes les conclusions quant au traitement fiscal de tels actes.

En conséquence, le Parlementaire demandait au Ministre de s’emparer d’urgence de cette question afin de ne pas laisser les entreprises dans l’incertitude et de définir l’acte anormal de gestion par référence à l’intérêt social de l’entreprise, intégrant les considérations sociales, sociétales et environnementales et en tenant compte des externalités positives qu’elles prennent à leur charge, le cas échéant au-delà de ce que leur intérêt requiert.

II. La réponse

Conformément aux dispositions de l’article 39 du CGI et à la jurisprudence constante du Conseil d’État, une charge n’est, de manière générale, déductible du résultat imposable que si elle est engagée dans l’intérêt direct de l’exploitation, ou si elle se rattache à la gestion normale de l’entreprise.

Ainsi, sont admises en déduction du résultat imposable les charges effectivement supportées par l’entreprise, qui sont liées à l’exercice de son activité, et dont elle retire une contrepartie réelle, directe et proportionnée au montant engagé. À défaut, la dépense ne peut être déduite fiscalement et doit être réintégrée au bénéfice imposable de l’entreprise. Les opérations réalisées ou les charges supportées en vue d’assurer sans contrepartie des avantages à des tiers ne correspondent pas, en principe, à une gestion commerciale normale.

Cela étant, la seule circonstance qu’une opération comporte un avantage pour un tiers ne suffit pas à lui conférer le caractère d’un acte anormal de gestion. Ainsi, s’agissant par exemple des dépenses engagées dans le cadre d’actions de solidarité, une distinction doit notamment être opérée entre les opérations relevant du mécénat d’entreprise et celles qui relèvent du parrainage ou du sponsoring.

À cet égard, les opérations de mécénat, qui peuvent être définies comme le soutien matériel apporté sans contrepartie directe à une œuvre ou un projet d’intérêt général, se traduisent nécessairement par un appauvrissement du donateur et impliquent une intention libérale, c’est-à-dire la volonté émanant d’une personne de donner un bien ou un droit lui appartenant au profit d’une autre.

Il résulte de l’application combinée des dispositions de l’article 39 du CGI et de la théorie de l’acte anormal de gestion, théorie jurisprudentielle élaborée par le Conseil d’État, que les dépenses engagées dans le cadre de telles opérations ne peuvent constituer des charges engagées dans l’intérêt direct de l’exploitation.

Ce traitement fiscal ne signifie pas que ces actions ne sont pas vertueuses, mais les dépenses engagées à ce titre constituent un usage du bénéfice, et ne peuvent être considérées comme une charge concourant à la formation de celui-ci.

Dès lors, le fait pour une entreprise de choisir d’allouer une fraction de son bénéfice à des actions socialement ou écologiquement responsables ne justifie pas, en soi, que le montant des dépenses réalisées soit déduit du résultat imposable.

En revanche, de telles dépenses peuvent être éligibles, sous réserve du respect des conditions prévues à l’article 238 bis du CGI, au régime du mécénat, et ainsi ouvrir droit à une réduction d’impôt.

Par ailleurs, les dépenses engagées dans le cadre d’actions de solidarité, et pour lesquelles une contrepartie ou un intérêt commercial direct peut être identifié pour l’entreprise versante, peuvent faire l’objet d’une déduction du résultat imposable.

C’est notamment le cas des dépenses supportées dans le cadre d’opérations de parrainage qui peuvent, sous conditions, être considérées comme engagées dans l’intérêt direct de l’exploitation. Ainsi, en application de la théorie jurisprudentielle de l’acte anormal de gestion, une entreprise ne peut procéder à la déduction de charges qui ne correspondent pas à une gestion normale, c’est-à-dire une gestion qui apparaît étrangère à ses propres intérêts économiques.

Le Conseil d’État a récemment eu l’occasion de rappeler que constitue un acte anormal de gestion l’acte par lequel une entreprise décide de s’appauvrir à des fins étrangères à son intérêt, c’est-à-dire sans en tirer de contrepartie réelle et proportionnée (CE, 21/12/2018, n° 402006).

III.  Concrètement

Par cette réponse, Bercy confirme qu’il existe bien une frontière entre l’intérêt particulier des associés et l’intérêt général de l’entreprise. La loi Pacte n’impacte donc pas la définition de l’acte anormal de gestion.

IV.  Source

RM BASHER n° 25359 JO Sénat 10/02/2023

Par Excen Notaires & Conseils

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