VENTE PAR UNE SOCIETE D’UNE NUE-PROPRIETE : SOUS-EVALUATION ET ACTE ANORMAL DE GESTION

24.05.24

I. Les faits

En mai 2013, une SAS a cédé à ses deux associés, personnes physiques, la nue-propriété indivise d’un tènement immobilier inscrit à son bilan au titre des actifs immobilisés. La SAS venderesse s’est réservée un usufruit pour une durée fixe de 21 ans.

La valeur du tènement a été fixée à 1 000 000 € (évaluation réalisée par un cabinet d’expertise le 21 janvier 2013) comprenant :

•             Un montant de 769 000 € pour le terrain d’assiette,

•             Une somme de 216 000 € pour la construction existante,

•             Et une plus-value de 15 000 € pour l’aménagement des abords.

L’usufruit a été évalué à 69 % de cette somme (3 x 23%), soit 690 000 €, en application du barème prévu à l’article 669 II du CGI. La valeur de la nue-propriété a, en conséquence, été fixée à 310 000 €.

Lors de la vente, des travaux étaient en cours sur le terrain. Ces travaux consistaient en :

•             La démolition, la remise à neuf et la transformation d’un bâtiment industriel existant en un bâtiment commercial neuf,

•             Et la construction d’un second bâtiment commercial d’une surface de 1 596 m².

La convention de démembrement, signée le jour de la vente, prévoyait que ces travaux restaient à la charge de l’usufruitier.

A l’issue d’une vérification de comptabilité de la SAS, l’administration a estimé que le prix de cession était minoré de 126 640 €. En l’espèce, si l’administration n’a pas contesté la valeur du terrain (769 000 €), elle a critiqué celle de la construction. Pour déterminer la valeur, le fisc a intégré la valeur des travaux déjà réalisés par l’usufruitier.

Sur la base d’une valeur en pleine propriété réévaluée, la valeur de la nue-propriété a été fixée à 436 640 € au lieu de 310 000 €.

Cette insuffisance de prix de 126 640 € a été analysée par le fisc comme une libéralité accordée par la SAS à ses associés.

En conséquence, chaque associé a été imposé à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales, au titre de l’année 2013, sur le fondement du c) de l’article 111 du CGI, à raison du revenu distribué correspondant à la libéralité retenue par l’administration, revenu assimilé à un avantage occulte.

Les contribuables ont contesté le redressement. En juin 2023, le TA de Grenoble a confirmé ce dernier. Il revenait à la Cour de Lyon de trancher en appel.

Les contribuables ont souhaité faire valoir une évaluation par comparaison avec des biens similaires en revendiquant l’application d’abattements de 10 % pour tenir compte de l’état d’encombrement du terrain, ainsi qu’un abattement de 10% au titre de l’aléa lié à l’inachèvement des travaux.

II. La décision

La CAA a rappelé que la vente d’un bien par une société à un prix minoré, sans que cet écart de prix ne comporte de contrepartie, constitue un acte anormal de gestion. L’avantage ainsi octroyé doit être requalifié en libéralité constitutive d’une distribution de revenus.

La preuve d’une telle distribution doit être regardée comme apportée par l’administration lorsqu’est établie l’existence :

  • D’une part, d’un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé.
  • Et, d’autre part, d’une intention, pour la société, d’octroyer, et, pour le cocontractant, de recevoir une libéralité du fait des conditions de la cession. Dans le cas où le vendeur et l’acquéreur sont liés par une relation d’intérêts, cette intention est présumée.

La Cour a retenu que la valeur du terrain et des aménagements des abords n’avait pas été contestée par le service vérificateur qui avait repris le montant retenu par l’expert de la société, qui avait lui-même procédé selon la méthode comparative, à partir du prix moyen de cession de terrains intervenues dans le même secteur géographique en 2010 et 2012.

S’agissant des constructions, l’acte de vente mentionnait « une propriété bâtie à usage commercial » et « une propriété inachevée brut de décoffrage ». La CAA a retenu que l’administration ne disposait, du fait de cette situation particulière, d’aucun terme de comparaison pertinent pour évaluer leur valeur vénale. Le service vérificateur a évalué la valeur vénale des constructions, en cours et non achevées à la date de la cession, sur le montant des travaux réalisés et comptabilisés à cette même date par la SAS.

La Cour a écarté les éléments de comparaison proposés par les contribuables et a rejeté l’application des abattements de 10% estimant qu’il n’était justifié ni de l’état du terrain, ni de l’existence du risque dont les contribuables se prévalaient.

Enfin, la seule circonstance que la pleine-propriété du bien immobilier ne serait réunie entre les mains des cessionnaires qu’à l’expiration de la période d’usufruit n’est pas, en tant que telle, de nature à faire obstacle à la prise en compte, par l’administration, des travaux réalisés à la date de la cession, laquelle a porté, ainsi qu’il a été dit, sur des biens non achevés, la valeur vénale à prendre en compte étant celle des biens dans l’état où ils étaient à la date du transfert de la nue-propriété.

La Cour administrative d’appel de Lyon a donc estimé que l’administration fiscale apportait la preuve, qui lui incombait, de l’existence d’un écart significatif, de 126 640 €, entre le prix de vente convenu entre la SAS et ses deux associés et la valeur vénale de la nue-propriété du bien immobilier cédé.

C’est donc à bon droit que l’administration a imposé, entre les mains des contribuables sur le fondement du c. de l’article 111 du CGI, la somme correspondant à la minoration de prix.

III. Concrètement

Remarques :

  1. L’administration n’a pas contesté l’évaluation de la nue-propriété selon le barème fiscal, alors que plusieurs contentieux ont été engagés, et gagnés, pour interdire l’application de cette méthode d’évaluation et imposés le mécanisme d’actualisation des flux ;
  2. L’administration a admis de ne pas tenir compte du reliquat de travaux à la charge de l’usufruitier post-cession alors même que le nu-propriétaire disposait d’un droit certain sur les constructions une fois achevée ;
  3. L’administration a limité son redressement à l’imposition de l’avantage occulte à l’impôt sur le revenu et aux contributions sociales.  La libéralité aurait pu faire également l’objet d’une imposition au titre des DMTG au taux de 60%.

Si le démembrement de propriété peut produire des effets de levier important, il convient de ne pas retenir des positions excessives pour déterminer les évaluations.

IV. Source

CAA Lyon n°23LY02460 15/02/2024

Par Excen Notaires & Conseils

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