L’EPOUX, COMMUN EN BIENS, QUI CONSTITUE UNE SCI PENDANT LE DIVORCE SANS INFORMER SON CONJOINT, EST-IL AUTEUR D’UN RECEL DE COMMUNAUTE ?

12.09.24

I. La question

Madame [Y] et Monsieur [S] étaient mariés sous le régime de la communauté universelle. Leur divorce a été prononcé le 21 janvier 2013 à la suite d’un jugement qui a homologué l’état liquidatif fixant la date des effets du divorce entre les époux en ce qui concerne leurs biens au 27 février 2012.

Le 30 janvier 2012, Monsieur [S] avait déposé une somme de 450 € sur un compte ouvert au nom de la SCI [N] en cours de formation.

Le 10 février 2012, les statuts de cette société sont établis faisant état de l’apport de Monsieur [S] au capital social.

Le 29 février 2012, la SCI [N] a été immatriculée au RCS.

Le 10 juillet 2012, le capital social de la SCI [N] a été libéré.

Le 4 juillet 2017, Madame [Y] a assigné Monsieur [S] en recel de communauté.

La Cour d’appel de Versailles a estimé que la naissance des parts sociales de Monsieur [S] au titre de son apport était fixée à la date « du contrat de société », même si Monsieur [S] ne peut les recevoir que lorsque la société a la personnalité juridique. Dès lors, les parts sociales ont pris naissance le 10 février 2012, avant la dissolution de la communauté. La Cour d’appel de Versailles a estimé que l’élément matériel du recel était établi dans son arrêt rendu en janvier 2022.

Monsieur [S] s’est alors pourvu en cassation estimant que les titres ont été constitués à compter de l’immatriculation le 29 février, soit après la date d’effet du divorce.

II. La réponse

La Haute Cour rappelle la sanction attachée au recel, à savoir que celui des époux qui aurait détourné ou recelé quelques effets de la communauté, est privé de sa portion dans lesdits effets.

Elle s’appuie ensuite sur les dispositions de l’article 1842 du Code civil qui dispose que les sociétés autres que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation. Jusqu’à cette date, les rapports entre les associés sont régis par le contrat de société et par les principes généraux du droit applicable aux contrats et obligations.

La Cour de cassation sanctionne l’analyse de la Cour d’appel de Versailles, la naissance des droits sociaux ne peut pas être fixée à la date de signature des statuts mais à la date d’immatriculation de la société.

En l’espèce, l’immatriculation de la SCI [N], suivie de la libération de son capital, était intervenue après la dissolution de la communauté, de sorte que les parts sociales acquises par Monsieur [S] ne constituaient pas un effet de communauté. L’élément matériel du recel n’était donc pas établi.

III. Concrètement

Il s’en est fallu de peu. La Cour de cassation est constante depuis plusieurs années, la naissance d’une société est toujours fixée au jour de son immatriculation, quand bien même, le capital serait déposé et les statuts signés avant.

Le recel de communauté est lourdement sanctionné par la perte des droits sur le bien recelé pour l’époux receleur.

Au regard de la jurisprudence, il existe trois grandes catégories de faits matériels de recel :

Les soustractions matérielles :

  1. Prélèvement important sur un compte bancaire juste avant une assignation en divorce (Cass. 1ère civ. 21/11/1960) ;
  2. Appropriation des revenus produits par un bien commun (CA Bordeaux 15/01/1974) ;
  3. Attestations mensongères censées établir la fausse propriété à des tiers de bons du trésor communs (CA Montpellier n°03/2750 16/10/2007) ;
  4. Détournement par le mari de sommes qui provenaient de placements de fonds communs réalisés par les époux sur des comptes ouverts au nom de leur fils, sur lesquels le mari disposait seul d’une procuration et que ce dernier ne justifiait pas de l’usage de ces fonds, d’en avoir déduit que le délit de recel de communauté était constitué à l’encontre de ce dernier (Cass. 1ère civ. n°07-20.185 25/02/2009) ;
  5. Retrait opéré par le mari sur le compte joint au moment où il avait quitté le domicile conjugal, via un chèque de banque déposé sur un compte ouvert à cette seule fin et en son seul nom dans une autre agence sans preuve de l’accord de son épouse (Cass. 1re civ. 19/11/2008 n°04-12.786).

Les omissions :

  • Absence de déclaration par un époux de sa détention d’effets communs (Cass. 29/11/1922) ;
  • Dissimulation de récompenses dues à la communauté (Cass. civ. 19/02/1879) ;
  • Absence de réévaluation d’une récompense due à la communauté (Cass. civ. 15/02/1879) ;
  • Dissimulation d’un compte joint lors de la liquidation de la succession (CA Bordeaux 28/01/2002) ;
  • Dissimulation de la valeur réelle d’actions communes non cotées retenues pour une valeur résiduelle lors du divorce en 1981 alors que la valeur unitaire était bien plus importante (Cass. 1ère civ. n° 92-10.513 26/01/1994 et CA Montpellier n°98/02712 28/06 2001).

Les procédés indirects :

  • Procédés ayant pour conséquence de grever de dettes fictives la masse commune au bénéfice de l’époux receleur (Cass. civ. 22/12/1874)
  • Procédés ayant pour conséquence de grever de dettes fictives la masse commune au bénéfice d’un tiers complice qui restituera à l’époux tout ou partie des sommes ainsi obtenues (Cass. 05/08/1868, Cass. 13/08/873).

Les éléments matériels doivent exister avant le partage. La Cour de cassation a ainsi indiqué que les fruits et revenus d’un bien dépendant de l’indivision post-communautaire, perçus par un époux après la dissolution de la communauté, ne constituent pas des effets de la communauté.

IV. Source


Cass. 1ère civ. n°22-11.303 17/01/2024

Par Excen Notaires & Conseils

Conseils d'experts

Votre navigateur est obsolète.
Pour une navigation optimisée, veuillez utiliser Google Chrome, Mozilla Firefox ou Safari.