RAPPORT SUCCESSORAL DE LA VALEUR DE BIENS SUBROGES A DES BIENS DONNES ET ATTEINTE AU DROIT DE PROPRIETE

07.06.24

I. Les faits

En novembre 1979, un groupement foncier agricole avait été constitué entre Madame [E] et ses cinq enfants, ceux-ci y apportant les droits en nue-propriété sur des parcelles de vignes et de terres nues, dont leur mère leur avait fait donation-partage par acte du même jour, tandis que celle-ci y apportait ses droits en usufruit.

En mars 1989, l’un des enfants, Monsieur [Z] a cédé à ses deux frères, Messieurs [N] et [O], ses parts du GFA.

Madame [E] est décédée en janvier 2018, en laissant pour lui succéder ses cinq enfants :

Des difficultés sont survenues lors du règlement de la succession, Monsieur [Z] a demandé la requalification de la donation-partage en donations simples afin d’obtenir le rapport de celles-ci.

Trois des enfants ont demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative aux dispositions du second alinéa de l’article 860 du Code civil.

En effet, ces dispositions traitent du rapport successoral dans la masse à partager. Si le donataire a cédé le bien reçu par donation :

  • Il est tenu compte de la subrogation, de sorte qu’il est tenu compte de valeur du nouveau bien à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de l’acquisition ;
  • Sauf si en raison de sa nature, la dépréciation du nouveau bien était inéluctable au jour de son acquisition, dans pareil cas, il n’est pas tenu compte de la subrogation, le rapport est réalisé sur la base de la dernière valeur connue du bien objet de la donation.

La question prioritaire de constitutionnalité est donc de savoir si cet article 860 du Code civil porte une atteinte injustifiée au droit de propriété garanti par l’article 2 de la Déclaration de 1789, en ce qu’il a pour effet de priver le gratifié, qui a réalisé une plus-value en vendant le bien donné et a placé le prix de vente, d’une partie de cette plus-value pour en faire profiter ses cohéritiers.

II. La décision

La Cour de cassation rappelle que les dispositions du second alinéa de l’article 860 du Code civil n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

Elle souligne cependant que la question posée, qui ne porte pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle.

La Cour de cassation estime enfin que la question posée ne présente pas un caractère sérieux.

En effet, le rapport des libéralités, régi par les articles 843 à 863 du Code civil, oblige chaque héritier à rendre compte à la succession des libéralités qu’il a reçues du défunt, afin que la masse successorale ainsi reconstituée se partage entre tous les héritiers à proportion de la vocation héréditaire de chacun.

Le principe étant celui du rapport en valeur, l’article 860 du Code civil fixe les règles d’évaluation du montant de l’indemnité de rapport, en recourant à la technique de la dette de valeur.

La règle de subrogation liquidative contestée selon laquelle, si un nouveau bien a été subrogé au bien aliéné, il est tenu compte de la valeur de ce nouveau bien à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de l’acquisition, en est une déclinaison. Elle permet de parer aux risques de fraude consistant, pour l’héritier donataire, à limiter artificiellement le montant du rapport, en vendant le bien donné pour procéder à un autre investissement à son seul profit.

L’exception faite à cette règle, lorsque la dépréciation du nouveau bien était, en raison de sa nature, inéluctable au jour de son acquisition, pour revenir au rapport de la valeur du bien donné à l’époque de son aliénation, d’après son état à l’époque de la donation, tend à garantir l’équité en empêchant le donataire de se dispenser du rapport par l’achat d’un bien de consommation dont la valeur ne peut que diminuer.

Ayant pour finalité d’assurer le respect des vocations successorales légales de l’ensemble des héritiers, la disposition attaquée est donc justifiée par un motif d’intérêt général.

Les limitations qu’elle apporte à l’exercice du droit de propriété du donataire sont proportionnées au but poursuivi dès lors que l’héritier gratifié, qui vend le bien donné et réalise une plus-value à la suite de l’acquisition d’un nouveau bien, n’est privé de cette plus-value qu’à due concurrence de la vocation successorale de ses cohéritiers.

Enfin, il peut être dérogé par l’acte de donation, tant à l’obligation au rapport qu’aux règles d’évaluation de l’indemnité de rapport, de sorte que ces limitations sont conformes à la volonté tant du donateur que du donataire qui y a consenti en acceptant la donation.

En conséquence, la Cour de cassation estime qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

III. Concrètement

Une fin de non-recevoir de la Cour de cassation. Le rapport successoral est une source de contentieux permanent. Il est fondamental de ne pas confondre la réunion fictive qui consiste à réintégrer toutes les libéralités consenties par le défunt afin de déterminer la masse de calcul de la réserve et de vérifier si les libéralités hors part successorale excèdent ou non la quotité disponible.

Le rapport conduit à reconstituer la masse à partager entre les héritiers afin que chacun dispose d’un lot égal aux autres.

Si la donation-partage est soumise à la réunion fictive pour la valeur des biens au jour de la donation, elle n’est pas soumise au rapport, le partage ayant déjà eu lieu. La requalification de la donation-partage en donation simple conduit à la réunion fictive pour la valeur au jour du décès et surtout impose le rapport successoral.

IV. Source

Cass. 1ère civ. n°23-19.059 14/02/2024

Par Excen Notaires & Conseils

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