DROITS DE SUCCESSION : UNE ACTION EN REDUCTION NE PERMET PAS DE DIFFERER LEUR PAIEMENT

21.07.23

Le Conseil Constitutionnel vient de rendre une décision (dans le cadre d’une QPC) qui concerne des faits souvent rencontrés en pratique.

I. La problématique

A. Les dispositions légales

1.Les héritiers sont saisis de plein droit des actifs du défunt

Les dispositions de l’article 724 du Code civil prévoient que les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt.

2. Les héritiers ont 6 mois pour déposer la déclaration de succession

L’article 641 du CGI, quant à lui, dispose que les délais pour l’enregistrement des déclarations que les héritiers, donataires ou légataires ont à souscrire des biens à eux échus ou transmis par décès sont de six mois, à compter du jour du décès, lorsque celui dont on recueille la succession est décédé en France métropolitaine et d’une année, dans tous les autres cas.

3. Les droits de succession sont dus lors du dépôt de la déclaration

Enfin, le texte de l’article 1701 du CGI prévoit que les droits des actes et ceux des mutations par décès sont payés avant l’exécution de l’enregistrement, de la publicité foncière ou de la formalité fusionnée, aux taux et quotités réglés par le CGI. Il est ajouté que nul ne peut en atténuer ni différer le paiement sous le prétexte de contestation sur la quotité, ni pour quelque autre motif que ce soit, sauf à se pourvoir en restitution s’il y a lieu. À défaut de paiement préalable de la taxe de publicité foncière, le dépôt est refusé.

B. La question prioritaire de constitutionnalité

Selon l’auteur de la QPC, les dispositions évoquées supra obligent les héritiers réservataires à s’acquitter des DMTG (droits de succession) alors même qu’ils n’auraient pas encore perçu les sommes imposables. En effet, dans le cadre d’une action en réduction, les héritiers réservataires font valoir leur droit en raison de libéralités hors part successorale qui excèderaient la quotité disponible. Ils sont donc en droit d’exiger le versement d’une indemnité de réduction. Les héritiers sont donc redevables des DMTG alors même qu’ils n’ont pas encore perçu l’indemnité de réduction.

Pour l’auteur de la QPC, ces dispositions légales méconnaissent le principe d’égalité devant les charges publiques.

L’auteur prend l’exemple d’un légataire universel qui a également la qualité d’héritier légal et qui est ainsi tenu de verser aux autres héritiers réservataires une indemnité correspondant à la portion du legs excédant ses droits. Le versement de cette somme dépend de la seule diligence du légataire universel. Ainsi, les autres héritiers réservataires ne sont pas toujours en mesure d’en disposer au moment où ils doivent s’acquitter des droits de succession.

C. Les faits à l’origine du contentieux fiscal

Monsieur [X] est décédé en 2012, en laissant pour lui succéder son épouse, et ses trois enfants. Par testament daté de 1986, le défunt avait institué son conjoint légataire universel.

Cinq ans après le décès, le conjoint survivant et les trois enfants ont signé un protocole transactionnel fixant l’actif net de la succession, ainsi que les indemnités de réduction dues par Madame. Ce n’est donc qu’en 2017 que les DMTG ont été définitivement acquittés.

Le fisc a sanctionné ce dépôt et ce paiement tardif par l’application d’une pénalité de 10% et des intérêts de retard.

II. La décision des sages

En préalable, le Conseil constitutionnel rappelle que l’exigence de prise en compte des facultés contributives, qui résulte du principe d’égalité devant les charges publiques, implique qu’en principe, lorsque la perception d’un revenu ou d’une ressource est soumise à une imposition, celle-ci doit être acquittée par celui qui dispose de ce revenu ou de cette ressource. S’il peut être dérogé à cette règle, notamment pour des motifs de lutte contre la fraude ou l’évasion fiscales, de telles dérogations doivent être adaptées et proportionnées à la poursuite de ces objectifs.

A.    Définition de la réserve héréditaire

Selon l’article 912 du Code civil, la réserve héréditaire est la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s’ils sont appelés à la succession et s’ils l’acceptent.

B.    L’indemnisation des réservataires lésés par l’héritier légataire universel

En application de l’article 924 du même code, lorsque les libéralités consenties par le défunt excèdent la quotité disponible, les héritiers réservataires doivent être indemnisés par le gratifié à concurrence de la portion excessive de la libéralité.

Il est estimé qu’il résulte de ces dispositions et du premier alinéa de l’article 724 du Code civil que, en présence d’un légataire universel ayant également la qualité d’héritier, ce dernier est seul saisi de plein droit de l’ensemble de la succession et doit indemniser les héritiers réservataires.

C.    Les DMTG sont dus indépendamment du paiement effectif de l’indemnité de réduction

En application des dispositions contestées de l’article 641 du CGI, ces héritiers réservataires sont tenus de s’acquitter des droits de mutation par décès dans un délai déterminé, indépendamment du paiement effectif de cette indemnité.

D.    L’héritier réservataire détient dès le décès une créance contre le légataire universel

Il est souligné qu’il ressort de la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que l’héritier réservataire dispose, en vertu de la loi, d’une créance à l’égard du légataire universel qui consiste en une indemnité de réduction égale à la fraction du legs portant atteinte à sa réserve. Ainsi, dès l’ouverture de la succession, l’héritier réservataire dispose d’une créance certaine à l’égard du légataire universel.

E.     Les DMTG sont dus dans un délai de 6 mois à compter du décès

La circonstance que, dans certains cas, le versement effectif de l’indemnité à l’héritier réservataire pourrait être retardé du fait du comportement du légataire universel est sans incidence sur l’appréciation des capacités contributives de l’héritier à raison de l’actif que constitue cette créance, qui est certaine.

Au demeurant, les héritiers, qui disposent d’un délai de six mois à compter du jour du décès pour déclarer la succession et payer les droits de mutation, ont la faculté de mettre en œuvre l’ensemble des procédures de droit commun pour garantir et recouvrer leur créance. Ils ont en outre la possibilité, en vertu de l’article 813-1 du Code civil, de demander au juge la désignation d’un mandataire successoral à l’effet d’administrer provisoirement la succession en raison de l’inertie, de la carence ou de la faute d’un ou de plusieurs héritiers dans cette administration, de leur mésentente, d’une opposition d’intérêts entre eux ou de la complexité de la situation successorale.

Le Conseil Constitutionnel a en conséquence déclaré conformes à la Constitution les dispositions critiquées.

III. Concrètement

Le principe est simple : le fisc n’a pas à subir un retard dans l’encaissement des DMTG lorsque la cause de ce dernier est liée à des difficultés de détermination des masses successorales.

On peut regretter que le Conseil Constitutionnel n’ait pas souligné que l’action en réduction est une faculté offerte aux héritiers réservataires qui dispose d’un délai maximum de cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès (C. civ. Art. 921).

IV. Sources

QPC n°2023-1051 01/06/2023

Cass. com. N°23-40.001 05/04/2023

Par Excen Notaires & Conseils

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