RESPONSABILITE DU NOTAIRE POUR NEGLIGENCE LORS D’UNE DONATION-PARTAGE AVEC APPLICATION DU DISPOSITIF DUTREIL

21.05.23

I.  Les faits

A. 2016 : Donation-partage dans le cadre du dispositif Dutreil

Madame [G] était pleine propriétaire d’une partie des actions dans trois sociétés familiales opérationnelles, mais également nu-propriétaire d’une autre partie des actions desdites sociétés (sa mère étant usufruitière).

Madame [G] a sollicité son Notaire, Maître [A], pour réaliser une donation-partage à ses enfants de la nue-propriété de ses actions de sociétés :

-La mère de Madame [G] restant usufruitière des titres dont Madame [G] était jusqu’alors nu-propriétaire,

-Madame [G] se réservant l’usufruit des titres qu’elle détenait en pleine propriété.

Le Notaire a, avec l’accord de Madame [G], établi un acte de donation-partage le 30 avril 2016 qu’il a fait enregistrer au service des impôts le 12 mai 2016.

A ce titre, Maître [A] a calculé les droits de mutation en appliquant les exonérations autorisées par la loi Dutreil (abattement de 75% sur l’assiette taxable). Pour cela, le Notaire a constaté, par actes authentiques reçus le 29 avril 2016, un engagement de conservation par Madame [G] des titres démembrés dont elle était nu-propriétaire avant la donation (engagement pris par elle et pour ses ayant-cause à titre gratuit ainsi que par les autres associés des trois sociétés familiales).

B. 2019 : Rectification

Par courrier du 20 décembre 2019, le fisc a proposé aux donataires et à Madame [G], tous solidairement tenus au paiement des droits de donation, une rectification en remettant en cause la possibilité de bénéficier du dispositif Dutreil dans le cadre de la donation-partage du 30 avril portant sur les actions démembrées. En effet, l’administration a fait valoir que les dispositions de l’article 787-B du CGI ne s’appliquaient qu’aux donations avec réserve d’usufruit et à la condition que les droits de vote de l’usufruitier soient statutairement limités aux décisions concernant l’affectation des bénéfices. Or, les statuts des trois sociétés ne faisaient pas apparaître l’existence de cette mention au jour de la donation.

C. 2020 : Mise en responsabilité du Notaire rédacteur de l’acte de donation

Le 26 novembre 2020, le conseil de Madame [G] a adressé à Maître [A], une mise en demeure de payer le redressement (de plus de 150 000 €), soit personnellement ou soit par l’intermédiaire de son assurance, dans la mesure où ainsi qu’il l’avait écrit à l’administration, ses clients pouvaient tranquillement attendre que toutes les conditions soient remplies avant de faire la donation.

D. 2021 : Assignation du Notaire en justice

Madame [G] et les donataires l’ont, par exploit d’huissier en date du 12 mars 2021, assigné devant le Tribunal judiciaire de Charleville-Mézières aux fins de le voir déclarer responsable du préjudice lié au redressement fiscal dont ils ont fait l’objet. Ce dernier a retenu la responsabilité du Notaire.

Le Notaire interjette appel…

II. La décision

En préambule la Cour a rappelé que la responsabilité civile du Notaire s’apprécie au regard des conditions habituelles de la responsabilité et suppose donc la preuve de l’existence d’une faute en lien de causalité avec le préjudice dont il est réclamé réparation.

Les obligations du Notaire lui imposent, en sa qualité de professionnel du droit, instrumentaire d’un acte juridique, de s’assurer de sa validité et de son efficacité technique. Par ailleurs, elles l’obligent de conseiller et d’éclairer les parties sur la portée et les effets de l’acte dont la réalisation lui est confiée.

Il est jugé que dans la mesure où il est constant que le bénéfice du dispositif Dutreil imposait des modifications statutaires des trois sociétés et que l’administration fiscale s’est fondée sur l’irrégularité des statuts pour motiver son redressement, il appartenait au Notaire chargé d’instrumenter un acte de donation-partage de la nue-propriété de parts de sociétés dans le cadre duquel il a calculé les droits fiscaux de mutation dus par ses clients, de s’assurer que les conditions d’exonération posées par cette loi étaient remplies à cette date.

Au regard des obligations d’efficacité développées précédemment, il ne suffisait donc pas à ce titre d’informer verbalement, plusieurs mois avant la signature de l’acte, le dirigeant des sociétés, qu’il procède à la mise à jour des statuts des dites sociétés, et ce même si celui-ci était conseillé par un avocat, mais il lui appartenait de s’assurer qu’au moment de l’acte, cette modification indispensable avait été faite et que les statuts contenaient toutes les mentions nécessaires pour permettre le bénéfice de la loi Dutreil. Il devait donc lui réclamer les statuts et vérifier qu’ils contenaient la clause litigieuse. Il aurait ainsi constaté qu’elle n’y figurait pas et que le dirigeant ne disposait en réalité que des décisions du Comité de direction des sociétés de modifier les statuts mais n’avait pas encore fait ratifier ces décisions par les assemblées générales.

Le montant du préjudice constaté est donc égal au montant du redressement fixé et payé par les intimés 153 599 €.

Aussi, compte tenu d’une perte de chance estimée à 90%, Maître [A] est dès lors condamné à payer à Madame [G] la somme de 138 239,10 € outre intérêts au taux légal.

III.  Concrètement

L’obligation de modifier les statuts préalablement à la donation est clairement énoncée par la loi.

Si l’exonération partielle est susceptible de s’appliquer aux donations démembrées, l’application de celle-ci est subordonnée à la condition que les droits de vote de l’usufruitier soient limités dans les statuts aux seules décisions concernant l’affectation des bénéfices.

Cette condition ne fait pas obstacle à ce que les statuts prévoient cette limitation pour une partie des titres de la société ainsi démembrés, si cette partie inclut l’ensemble des titres dont la nue-propriété est transmise sous le bénéfice de l’exonération partielle de DMTG. Dans ce cas, ne bénéficie de l’exonération partielle de DMTG, toutes conditions par ailleurs remplies, que la transmission des titres démembrés pour lesquels les droits de vote de l’usufruitier sont statutairement limités aux décisions concernant l’affectation des bénéfices.

La jurisprudence rendue en matière fiscale est à plusieurs reprises venue confirmer que cette condition était essentielle et que son non-respect conduisait à la remise en cause du bénéfice du dispositif Dutreil (Cass 1ère civ. n°19-14.016 09/12/2020).

Il est en effet très surprenant de constater que le Notaire n’avait pas vérifié le respect de cette condition fondamentale…

La conclusion de la Cour est à nos yeux sans surprise.

IV.  Source

CA Reims n°22/01009 28/02/2023

Par Excen Notaires & Conseils

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