LE REGARD D’UN NOTAIRE SUR LA RÉFORME DE L’ADOPTION

09.05.22

Me SOUDEY Guillaume et Me MOUTON-UHLIG Mathieu, notaires Excen Gardanne, ont publié un article dans le cadre du dossier « Réforme de l’adoption » de l’AJ Famille de Avril 2022.

LE REGARD D’UN NOTAIRE SUR LA RÉFORME DE L’ADOPTION

Quelques mois seulement après la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, qui a ouvert l’assistance médicale à la procréation aux couples de femmes et aux femmes non mariées et créé un nouveau mode d’établissement de la filiation, savoir la reconnaissance conjointe anticipée, le législateur continue de s’intéresser aux modes d’établissement de la filiation et vient, par la loi n o 2022-219 du 21 févr. 2022, de réformer l’adoption.
Une adoption se déroule en deux étapes : la première, le consentement à l’adoption, lequel est donné – sauf exceptions – devant un notaire ; la seconde, le prononcé de l’adoption, lequel relève de la compétence du juge.
Parce que la loi lui confi e le soin de recueillir le consentement éclairé, tant de l’adoptant que de l’adopté, et parce qu’il intervient en amont du processus, le notaire français est un témoin privilégié des adoptions.
Cette réforme intéresse donc la pratique notariale. Entre simples ajustements et grands bouleversements de l’adoption : l’oeil du notaire sur certains points de la réforme…

Ouverture de l’adoption à tous les couples

La nouvelle loi ouvre l’adoption aux couples de partenaires et aux couples de concubins (C. civ., art. 343, al.1 er ). Auparavant, seuls les couples mariés et les célibataires pouvaient adopter. Il n’était donc pas rare, dans nos études, de préconiser, par exemple, à des couples, dont l’un voulait adopter l’enfant de l’autre, de se marier pour pouvoir accéder ensuite à l’institution de l’adoption, alors apanage du mariage.
L’ouverture de l’adoption à tous les couples constitue l’apport majeur de cette réforme. Désormais, deux partenaires ou deux concubins pourront adopter ensemble un enfant, et ce en la forme simple comme en la forme plénière. De même, un partenaire ou un concubin pourra adopter l’enfant de son partenaire ou de son concubin.
C’est un véritable verrou qui saute pour les concubins et pour les partenaires. Sur le terrain, cela devrait se traduire par une multiplication des actes contenant recueil de consentement à adoption.
À l’instar de la récente réforme de l’assistance médicale à la procréation (AMP), cette loi relative à l’adoption tient compte de l’évolution des familles et des liens affectifs qui se créent entre ses nouveaux membres. Cette ouverture de l’adoption ne peut être que saluée par les praticiens.

Consentements éclairés à l’adoption

Sur le terrain, l’ouverture de l’adoption aux partenaires et aux concubins devrait se traduire par une multiplication des actes contenant recueil de consentement à adoption

Comme auparavant, l’adoption suppose le consentement de l’adoptant et de l’adopté. Si ce dernier est mineur, elle suppose celui de ses deux parents. Si l’adopté est âgé de plus de 13 ans, il doit consentir personnellement à son adoption. Si l’adoptant est en couple et qu’il procède à l’adoption à titre individuel, il convient de noter que la loi nouvelle exige le consentement de l’autre membre du couple pour certains couples seulement : si l’adoptant est marié ou pacsé, l’autre membre du couple – son conjoint ou son partenaire – doit consentir, en cette qualité, à l’adoption (C. civ., art. 343-1, al. 2). En revanche, si l’adoptant est un concubin, le consentement de l’autre membre du couple – son concubin – n’est pas requis.
La loi nouvelle défi nit, par l’ajout d’un nouvel alinéa premier à l’art. 348-3, les conditions de validité du consentement à l’adoption.
Ce consentement doit être :
■ libre ;
■ obtenu sans contrepartie après la naissance de l’enfant ;
■ et éclairé sur les conséquences de l’adoption, en particulier s’il est donné en vue d’une adoption plénière, sur la rupture irrévocable du lien de filiation d’origine qui en résulte.

Auparavant, ces conditions étaient édictées par l’ancien art. 370-3, al. 3, c. civ. Elles concernaient donc uniquement les adoptions internationales et, plus précisément, le consentement du représentant légal de l’enfant. En effet, il était apparu que certains parents étrangers, alors qu’ils pensaient laisser partir leur enfant en France, tout en conservant avec lui un lien de filiation, donnaient leur consentement à son adoption plénière, sans comprendre la rupture du lien de filiation qui en découle. L’ancien art. 370-3, al. 3, était donc venu imposer que, quelle que soit la loi applicable, le consentement du parent étranger soit éclairé, en particulier, sur ce point.
Désormais édictées en tête de l’art. 348-3, ces conditions ont une portée générale et concernent tant les adoptions internationales que les adoptions nationales. Leur nouvel emplacement autoriserait même à penser que tout ou partie de ces conditions concerne non plus seulement le consentement du représentant de l’enfant mais tous les consentements requis, notamment ceux de l’adoptant, de l’adopté et de l’autre membre du couple.

Le notaire, chargé de recueillir les différents consentements, devra s’assurer du respect, pour chacun d’eux, de ces conditions expressément fixées par la loi. Par ailleurs, en ce qui concerne le consentement de l’adopté, la loi du 21 févr. 2022 permet désormais l’adoption de majeurs hors d’état de manifester leur volonté (C. civ., art. 348-7).
Auparavant, de telles adoptions étaient impossibles, faute pour l’adopté de pouvoir consentir à son adoption, acte strictement personnel.
Le nouvel art. 348-7 c. civ. permet de passer outre l’absence deconsentement de l’adopté si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’adopté et « après avoir recueilli l’avis d’un administrateur ad hoc [pour le mineur] ou de la personne chargée d’une mesure de protection juridique avec représentation relative à la personne [pour le majeur] ».
Ce texte soulève un certain nombre d’interrogations : s’agit-il d’un simple avis – lequel serait alors à joindre à la requête – ou d’un véritable consentement – lequel devrait alors être recueilli devant notaire dans les conditions ci-dessus visées ?

Prohibition de l’adoption entre ascendants et descendants et entre frères et soeurs

La loi nouvelle crée un art. 343-3 c. civ., lequel dispose que « l’adoption entre ascendants et descendants en ligne directe et entre frères et sœurs est prohibée ».
Auparavant, le code civil était silencieux sur le sujet : à l’exception du cas de l’enfant issu d’une relation incestueuse, aucun texte n’interdisait l’adoption entre des personnes déjà unies par un lien de parenté ou d’alliance. Pour autant, aucun texte n’organisait non plus l’adoption d’un membre de la famille.
La doctrine en déduisait que l’intention du législateur était de ne pas formuler d’interdiction générale des adoptions intrafamiliales et de laisser au juge le soin de sanctionner les abus.
L’analyse des travaux parlementaires montre d’ailleurs que le Sénat a rejeté ce nouvel article, tant en première qu’en deuxième lecture, au motif justement qu’il était préférable de laisser le soin au juge d’apprécier l’intérêt de l’enfant au cas par cas, plutôt que d’édicter une interdiction de principe.
L’argument n’a pas été retenu et le législateur a finalement édicté un véritable principe d’interdiction de l’adoption intrafamiliale. Son objectif affiché est ici d’éviter les « confusions de générations et de places familiales susceptibles d’entraîner un bouleversement anormal de l’ordre familial ».

Exemples – Un enfant ne pourra pas être adopté par ses grands-parents et devenir le frère ou la sœur de ses propres père et mère. De même, un enfant ne pourra pas être adopté par son frère ou sa sœur et devenir le frère ou la sœur de ses propres neveux et nièces.

Cette interdiction, initialement envisagée que pour l’adoption plénière, vaut finalement tant pour l’adoption plénière que pour l’adoption simple. L’inclusion de l’adoption simple dans l’interdiction est justifiée car, en ne rompant pas les liens initiaux, elle est d’autant plus source de confusion des places familiales.
Le principe de prohibition est néanmoins assorti d’une exception lorsqu’« il existe des motifs graves » justifiant, dans « l’intérêt de l’adopté », le prononcé de l’adoption.
Un juge pourra donc déroger à l’interdiction pour motifs graves.
Quels sont donc ces motifs graves qui permettront de justifier le prononcé de l’adoption d’un descendant ou d’un collatéral ?
À la lecture du texte, il convient tout d’abord de noter que ces motifs graves devront servir l’intérêt de l’adopté. En d’autres termes, l’adoption ne pourra pas être prononcée pour des motifs graves qui ne serviraient que l’intérêt de la
famille au sens large.
L’appréciation de ces motifs relèvera ensuite du pouvoir souverain des juges du fond. La lecture des travaux parlementaires permet de relever certaines jurisprudences. Force est de constater qu’une large majorité d’entre elles refusent de prononcer l’adoption. Ainsi, l’adoption est refusée quand elle est utilisée à des fins sans rapport avec l’esprit de l’institution.

Exemple – Rejet de l’adoption d’un enfant par ses grands-parents maternels dans le seul but d’empêcher le père naturel de reconnaître son fils.

De même, l’adoption devrait continuer à être refusée quand elle est uniquement motivée par un but successoral.

Exemple – Refus de l’adoption par une grand-mère de certains de ses petits-enfants en raison de l’impact négatif sur ses enfants et de la création d’une discrimination patrimoniale.

Ou encore lorsqu’elle est motivée par un but fiscal.

Exemple – Refus de l’adoption d’une soeur par sa soeur, uniquement motivée par des raisons fiscales.

Il convient de noter que l’adoption par des grands-parents de leurs petits-enfants a perdu une partie de son intérêt patrimonial depuis la création de la donation- partage transgénérationnelle, laquelle permet d’allotir ses petits-enfants au lieu et place de ses enfants.
Ensuite, de très nombreuses décisions refusent de prononcer l’adoption en se fondant sur l’intérêt de l’enfant et le risque de confusion des générations et de bouleversement de l’ordre familial.

Exemples – Rejet de l’adoption d’un frère par sa soeur, au motif qu’ils entretiennent des liens fraternels, lesquels apparaissent incompatibles avec les liens fi liaux que l’adoption viendrait consacrer 6 ou le refus de la demande d’adoption d’un enfant par ses grands-parents, laquelle jugée prématurée, l’enfant n’étant pas encore en mesure de comprendre et d’adhérer à un projet brouillant les repères familiaux.

Mais il existe des exemples en sens inverse.

Exemples – L’adoption d’une soeur par sa soeur aînée a été acceptée, dans une hypothèse où une différence d’âge importante existait entre elles et où leurs parents étaient tous deux décédés, l’aînée ayant élevé sa petite soeur
depuis le décès. De même, l’adoption simple d’un enfant par ses grands-parents a été prononcée ; dans une hypothèse où la mère était décédée, le père consentait à l’adoption et il était établi que l’enfant ne confondait pas ses parents et ses grands-parents ; et dans une hypothèse où les enfants entretenaient uniquement des contacts purement épistolaires avec leurs parents, avaient été élevés par leurs grands-parents dans le cadre d’une délégation d’autorité parentale et où le juge avait relevé que l’âge des enfants (19 et 20 ans) écartait tout risque de confusion des générations.

En pratique, l’impact de cette prohibition et de son tempérament devrait être limité, dans la mesure où il est estimé que ces adoptions intrafamiliales représentent moins de 0,5 % des décisions d’adoption plénière prononcées par les tribunaux.
Il convient enfin de noter que la prohibition instaurée ne concerne pas l’adoption par les oncles et tantes de leurs neveux et nièces. Ces adoptions devraient donc continuer à être couramment admises.

Exemples – Adoption simple d’une nièce par sa tante, aux fi ns de concrétiser une relation mère-fi lle qui a toujours existé, l’enfant ayant été recueillie dès sa naissance par sa tante, et qui était différente de la relation qui peut exister
entre une tante et sa nièce, laquelle tante serait de la même génération que le père de l’adoptée 11 ou adoption d’un enfant par sa tante, en présence de troubles psychiques de la mère et en dépit de l’accueil simultané de celle-ci et de son enfant au foyer de l’adoptante.

A fortiori, la prohibition instaurée ne concerne pas non plus les adoptions entre collatéraux ordinaires, comme les cousins.

Création temporaire d’une adoption forcée

Rappelons que les couples de femmes ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation (AMP) à l’étranger avant la loi du 2 août 2021 peuvent procéder, devant notaire, à une reconnaissance conjointe 13 de l’enfant issu de cette AMP (art. 6, IV, de ladite loi). Ce dispositif temporaire, ouvert uniquement pour une durée de trois ans (soit jusqu’au 3 août 2024), permet d’établir la filiation à l’égard de la femme qui n’a pas accouché.

Lorsque le couple de femmes s’est séparé de manière conflictuelle depuis le projet parental commun et que la femme qui a accouché refuse d’effectuer la reconnaissance conjointe, la mère d’intention ne dispose d’aucun moyen pour faire établir la filiation de l’enfant à son égard.
Afin de couvrir cette hypothèse où la mère biologique refuse, sans motif légitime, la reconnaissance conjointe, l’art. 9 de la loi du 21 févr. 2022 offre à la femme qui n’a pas accouché la possibilité de demander à adopter l’enfant 14 . Elle devra rapporter la preuve du projet parental commun et que l’AMP a bien eu lieu à l’étranger et avant la loi du 2 août 2021. Sa demande d’adoption sera possible nonobstant l’absence de lien conjugal – le couple étant par hypothèse séparé – et l’absence de respect de la condition de durée d’accueil de l’enfant de 6 mois – l’enfant vivant a priori uniquement chez sa mère biologique. Le juge prononcera l’adoption s’il estime que celle-ci est conforme à l’intérêt de l’enfant, la loi précisant que sa décision devra être spécialement motivée.
Ce dispositif exceptionnel peut être analysé comme constituant un cas d’adoption forcée, puisque, par hypothèse, l’adoption sera prononcée sans le consentement du parent de l’enfant, tel qu’il est inscrit sur l’acte de naissance de celui-ci. Ce dispositif est temporaire et prévu uniquement pour une durée de trois ans, soit jusqu’au 23 févr. 2025.
En accordant un droit spécifique à la femme ayant participé au processus d’AMP, sans avoir pour autant porté l’enfant, le législateur français accorde ici, une nouvelle fois, une considération particulière au parent d’intention. Ce point est notable et doit être approuvé.

Extension de la règle de conflit de lois en matière d’adoption

Pour rappel, l’ancien art. 370-3, al. 1, c. civ. soumettait les conditions de fond de l’adoption à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par deux époux, à la loi des effets du mariage (savoir la loi nationale commune, à défaut la loi de leur domicile commun, à défaut la loi du for ).
La loi du 21 févr. 2022, ouvrant l’adoption à tous les couples, a donc étendu la règle de conflit aux couples de partenaires et aux couples de concubins 15 . L’art. 370-3, al. 1, c. civ. dispose désormais que « les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant ou, en cas d’adoption par un couple, à la loi nationale commune des deux membres du couple au jour de l’adoption ou, à défaut, à la loi de leur résidence habituelle commune au jour de l’adoption ou, à défaut, à la loi de la juridiction saisie. L’adoption ne peut toutefois être prononcée si la loi nationale des deux membres du couple la prohibe. »
La rédaction de cette règle de conflit est – nous semble-t-il – confuse.
En effet, sa lecture laisse à penser qu’un rattachement à la loi de la résidence habituelle commune ou à la loi de la juridiction saisie serait possible et permettrait de valider, sur le fond, l’adoption.
Or, tel n’est pas le cas : lorsque la loi nationale de l’un et l’autre des membres du couple prohibe l’adoption, celle-ci ne pourra pas être prononcée, et ce quelles que soient la résidence habituelle du couple et la loi de la juridiction saisie.
Il convient enfin de noter que la loi du 21 févr. 2022 a inséré, en tête du chapitre III relatif aux conflits de lois en matière d’adoption, un nouvel art. 370-2-1 c. civ. contenant une définition de l’adoption internationale :

« L’adoption est internationale : 1° lorsqu’un mineur résidant habituellement dans un État étranger a été, est ou doit être déplacé, dans le cadre de son adoption, vers la France, où résident habituellement les adoptants ; 2° lorsqu’un mineur résidant habituellement en France a été, est ou doit être déplacé, dans le cadre de son adoption, vers un État étranger, où résident habituellement les adoptants. »

S’il est salutaire que le législateur veuille définir les termes juridiques, là encore, cette rédaction interpelle. Une telle définition, fondée uniquement sur les résidences de l’adoptant et de l’adopté et pour le cas seulement où ces résidences sont inversées entre la France et l’étranger, semble incomplète. Il aurait – nous semble-t-il – été préférable de définir plus largement l’adoption internationale comme une adoption présentant un élément d’extranéité, tenant notamment à la résidence habituelle ou à la nationalité de l’un ou l’autre de l’adoptant et de l’adopté ou de toute autre personne dont le consentement à l’adoption est requis.

Par Me SOUDEY Guillaume et Me MOUTON-UHLIG Mathieu

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