Successions internationales : la France impose sa réserve héréditaire

23.09.21

Me SOUDEY, notaire Excen Gardanne réponds aux questions de Mme Caroline MAZODIER pour Le Particulier.

La réserve héréditaire française fait partie des droits fondamentaux qui doivent primer, dans le cadre d’une succession internationale, sur une loi étrangère qui l’exclurait. C’est ce que le législateur français vient d’affirmer, en instaurant, au profit des enfants déshérités en vertu d’une loi étrangère, un « prélèvement compensatoire » sur les biens de la succession situés en France. Les professionnels s’inquiètent des conséquences de ce nouveau dispositif.

A compter du 1er novembre 2021, les héritiers de successions ouvertes dans des pays n’offrant pas de réserve héréditaire (part d’héritage octroyée obligatoirement aux enfants) pourront, à certaines conditions, demander le bénéfice de cette institution française.

Concrètement, l’héritier lésé pourra exercer, auprès d’un notaire français, un prélèvement compensatoire sur un bien situé en France, dans la limite de la part réservataire qu’il aurait eue, si la loi française s’était appliquée.

Quelles sont les successions concernées ?

Le nouvel article 913 du Code civil, issu de la loi du 24 août 2021 « confortant le respect des principes de la République », s’appliquera à certaines conditions.

D’une part il ne concernera que les successions ouvertes après le 1er novembre 2021. Concrètement cela signifie que la personne dont la succession est ouverte doit être décédée après cette date.

D’autre part, il faut que, dans le patrimoine du défunt, un bien (immobilier ou mobilier, peu importe sa nature) soit situé en France. Il peut s’agir d’un compte bancaire ouvert à Strasbourg, d’une maison secondaire en Dordogne ou d’un studio à Paris.

Ensuite, le défunt ou l’un de ses enfants doit être résident ou ressortissant européen (voir plus bas) et enfin, la loi étrangère applicable à la succession ne doit prévoir « aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants ».

Protéger les enfants déshérités à l’étranger

La bataille entre les héritiers de Johnny Hallyday nous l’a en effet rappelé il y a peu : la réserve héréditaire des enfants n’est pas universelle. Si ce concept existe en France et dans de nombreux pays voisins (Belgique, Italie, Espagne…) il n’est en effet pas reconnu partout, loin de là.

Il n’existe notamment pas dans les pays dits de « common law » comme les Etats- Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. « Dans la culture juridique de ces pays, la part des enfants n’est pas un dû. Quand ils élaborent une stratégie patrimoniale et qu’ils songent à leur succession, les Anglo-saxons pensent davantage à protéger le conjoint survivant plutôt que leurs enfants », indique Guillaume Soudey, notaire à Gardanne (Groupe EXCEN). Le nouveau dispositif français trouvera donc à s’appliquer pleinement dans le cadre de ces successions.

Un objectif égalitaire manqué

Si en revanche un dispositif protecteur des enfants existe dans la loi étrangère applicable à la succession, alors les héritiers ne pourront pas réclamer ce nouveau prélèvement compensatoire.

« Ainsi, contrairement à une idée préconçue, les pays de droit musulman connaissent le principe de la réserve héréditaire. Celle-ci n’est pas égalitaire, dans le sens où les filles héritent d’une part parfois très inférieure à celle des garçons, mais elle existe : le système leur octroie bien une part d’héritage. Donc ce nouveau dispositif ne s’appliquera pas à ces successions », révèle le notaire.

A l’origine, pourtant, le but affiché par le gouvernement était de « veiller à l’égalité de traitement entre héritiers afin que, grâce à la réserve héréditaire (…) les filles ne puissent plus être déshéritées.

(…) Car il n’est pas acceptable qu’un droit coutumier s’applique aux dépens des femmes sur le territoire de la République », expliquait Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté. Celle-ci avait d’ailleurs annoncé cette réforme en octobre 2020 dans un tweet, accompagné d’un hashtag « laïcité ». La réforme semble donc, de ce point de vue, passer complètement à côté de l’objectif.

Des conditions trop larges

La condition selon laquelle le défunt ou l’un de ses enfants doit être résident ou ressortissant européen, c’est-à-dire habiter dans l’un des 27 pays composant l’Union européenne ou en avoir la nationalité, donne à ce dispositif une ampleur considérable.

« Son champ d’application est immense. Il va donc concerner des gens qui n’ont rien à voir, de près ou de loin, avec la France et sa culture juridique », prévient Me Soudey, notaire à Gardanne (Groupe EXCEN).

Prenons l’exemple d’une famille entièrement britannique. Le couple possède tous ses biens en Angleterre, sauf un compte en banque ouvert en France. Leur fils part s’installer en Pologne. Le père lègue tous ses biens à son épouse, comme le lui permet la loi anglaise.

A sa mort, le fils pourra demander à un notaire français que la réserve française lui soit appliquée. Sa fille pourra en faire autant, même si elle réside au Brésil (puisqu’il suffit qu’un enfant réside en Europe). « Il faudra donc calculer la valeur de sa part dans la succession, grâce aux informations qu’il nous livrera et à celles que nous obtiendrons du professionnel en charge de la succession à l’étranger, et la prélever sur la valeur du ou des biens situés en France. Tant dans ce calcul que dans la collecte des infos, nous risquons d’être confrontés à des difficultés techniques, juridiques, et pratiques dont nous mesurons mal l’ampleur aujourd’hui », confie l’officier ministériel.

De vives inquiétudes à l’étranger

Le prélèvement compensatoire, qui n’a pas été examiné par le Conseil constitutionnel à la sortie de la loi, provoque donc de vives inquiétudes, en particulier dans les pays de common law. « Il oblige les ressortissants de ces pays à revoir totalement leur estate planning, c’est-à-dire leur stratégie successorale, en anticipant le cas hypothétique où l’un de leurs enfants déciderait de résider en Europe un jour », alerte Me Soudey, notaire à Gardanne (Groupe EXCEN). Cette réforme risque fort de refroidir de potentiels investisseurs étrangers qui auront tout intérêt, pour des questions de sécurité juridique, à déserter le sol français.

Un risque de contentieux en France

Par ailleurs, il est fort possible qu’au cours d’un litige né suite à une demande de prélèvement compensatoire, le juge considère ce dispositif comme contraire au droit européen et l’écarte. Depuis le 17 août 2015, en effet, un règlement européen prévoit qu’en l’absence de testament, une seule loi sert pour l’ensemble de la succession : celle de l’État dans lequel le défunt avait sa « résidence habituelle lors du décès » (art. 21 du règlement européen n° 650/2012 du 4.7.12). « Le règlement européen pose là un principe d’unité de la loi successoral. Il a été élaboré à l’époque en concertation avec 26 autres pays et il a permis d’instaurer une certaine sécurité juridique, c’est-à-dire une prévisibilité dans ce genre de successions. En morcelant à nouveau le droit applicable, le législateur français balaye unilatéralement ce principe européen et instaure de l’insécurité juridique », dénonce le notaire.

Enfin, un héritier qui aurait intérêt à ce que la réserve héréditaire ne soit pas appliquée ne manquera pas de remettre en cause, devant le juge, la conformité de ce nouveau dispositif à la Constitution. Ce dernier devra alors transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. En 2011, cette institution a déjà eu l’occasion de se pencher sur le même mécanisme de prélèvement compensatoire (qui existait depuis 1819 dans notre droit). A l’époque réservé aux héritiers français, il avait alors été jugé contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi et abrogé.

Par Caroline Mazodier, LeParticulier

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