International : Une succession franco-suisse : focus sur les meubles

11.08.21

Me SOUDEY, notaire Excen Gardanne auteur du ‘Cas pratique international‘, publié dans le hebdo solution Notaire du 8 Juillet 2021 n°23 des Editions Francis Lefebvre Notaires.

International : Une succession franco-suisse : focus sur les meubles

    LES FAITS

M. Jacques Devaux, domicilié à Montreux (canton de Vaud, Suisse), est décédé le 11 septembre 2020 en son domicile.

Il laisse son épouse, Suzanne, résidente suisse, avec laquelle il était marié sous le régime de la séparation des biens et deux enfants d’une première union, Simon, domicilié en Suisse et François, domicilié à Bordeaux. Par testament authentique, devant notaire suisse,

M. Devaux a institué en qualité de seuls héritiers de l’ensemble de son patrimoine, son épouse, à concurrence de 5/8e et ses deux enfants, à concurrence de 3/8e. Il a par ailleurs désigné dans ce testament son notaire suisse en qualité d’exécuteur testamentaire, avec les pouvoirs les plus étendus dans l’accomplissement de son mandat.

Son patrimoine se compose comme suit :

  • maison de Montreux : 3 000 000
  • divers actifs financiers en Suisse : 10 000 000
  • actifs mobiliers en Suisse, dont lingots d’or : 1 000 000
  • propriété près de Bordeaux : 2 000 000
  • actifs mobiliers en France, dont pièces d’or : 150 000

LE RAISONNEMENT

RÈGLEMENT CIVIL DE LA SUCCESSION

Loi applicable à la succession

1- En application du règlement UE 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen, la succession de M. Devaux est entièrement régie par la loi de sa résidence habituelle au moment de son décès (Règl. 650/2012 art. 21, § 1), soit la loi suisse.

La Suisse étant un État tiers, le règlement vise l’application des règles de droit en vigueur dans cet État, y compris ses règles de droit international privé, pour autant que ces règles renvoient à la loi d’un État membre ou à la loi d’un autre État tiers qui appliquerait sa propre loi (Règl. 650/2012 art. 34, § 1).

En d’autres termes, il convient de vérifier l’application d’un éventuel renvoi, en examinant les règles suisses de droit international privé. En vertu de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP), la succession d’une personne qui avait son dernier domicile en Suisse est régie par le droit suisse (LDIP art. 90).

Par conséquent, il n’y a pas lieu à renvoi et la succession de M. Devaux sera entièrement soumise au droit suisse. Il convient de noter que le droit applicable à la succession régit notamment les mesures d’exécution, en ce compris l’exécution testamentaire (LDIP art. 92, al. 1).

Application concrète du droit suisse

2– En droit suisse, les enfants sont héritiers réservataires. Sur le fond, la question se pose donc de savoir si le testament de M. Devaux est conforme au droit suisse. Au cas particulier, leur part de réserve étant égale à 3/8e, le testament pourra recevoir son entière application.

Sur le plan formel, en Suisse, la désignation des héritiers résulte d’un certificat d’héritier établi par le juge de paix du lieu du domicile du défunt. Une fois ce certificat obtenu, afin de permettre le règlement de la partie française de la succession, il conviendra de procéder, en France, à un acte notarié de dépôt de ce certificat et des autres pièces suisses, par exemple l’acte de décès, la copie du testament, sans oublier le ou les certificats de coutume pouvant être nécessaires au règlement de la succession. Cet acte notarié français relatera notamment la dévolution successorale établie en application du droit suisse et du testament suisse.

En outre, afin que le testament suisse puisse recevoir exécution en France, il conviendra de procéder à son enregistrement en application des articles 1000 du Code civil et 655 du CGI. Au cas particulier, le testament de M. Devaux devra être enregistré à la fois à la recette des impôts des non-résidents et à celle du lieu de situation de l’immeuble de Bordeaux.

En pratique, la délivrance du certificat d’héritier par l’autorité judiciaire suisse peut prendre un certain temps, situation qui risque de paralyser l’avancée du règlement de la succession et ce tant côté suisse que côté français.

Dans une telle situation, l’exécuteur testamentaire suisse nommé par M. Devaux sera un allié précieux pour le notaire français. En effet, en application de l’article 517 du Code civil suisse, le testateur peut charger une personne de l’exécution de ses dernières volontés. Les pouvoirs de cet exécuteur testamentaire sont définis par le testateur, à défaut par la loi. M. Devaux ayant expressément confié à son exécuteur les pouvoirs les plus éten- dus, ce dernier pourra administrer la succession, payer les dettes, acquitter les legs, préparer le partage, vendre des immeubles de la succession, y compris de gré à gré.

Le notaire français devra veiller à ce que le mandat d’exécuteur testamentaire soit bien confirmé par une ordonnance de la justice de paix. En général, l’autorité suisse délivre cette ordonnance à l’exécuteur rapidement après le décès. Le notaire français sollicitera également un certificat de coutume sur l’étendue exacte, au cas d’espèce, des pouvoirs de l’exécuteur.

Sous ces réserves, le notaire français pourra donc procéder en France, avec le seul exécuteur testamentaire, à de nombreux actes notariés, en particulier le dépôt de pièces susvisé et l’ouverture des opérations d’inventaire.

RÈGLEMENT FISCAL DE LA SUCCESSION

Incidence de l’absence de convention fiscale

3- Par suite de la dénonciation par la France, le 17 juin 2014, de la convention fiscale franco-suisse en date du 31 décembre 1953, il n’existe plus de convention fiscale entre nos deux pays, en matière de succession, pour les personnes décédées depuis le 1er janvier 2015.

Ainsi, depuis cette date, les successions franco-suisses se trouvent soumises aux règles de droit interne de chacun de deux pays.

Côté français, ces règles dites de territorialité des droits de suc- cession sont édictées par l’article 750 ter du CGI. Elles reposent sur trois critères alternatifs, à savoir la résidence fiscale du défunt, le lieu de situation des biens dépendant de la succession et la résidence fiscale des héritiers.

Au cas particulier, M. Devaux n’ayant pas son domicile fiscal en France, la France ne peut, en principe, imposer que les biens meubles et immeubles situés en France (CGI art. 750 ter, 2°). Toutefois, lorsqu’un héritier a son domicile fiscal en France, la France recouvre sa vocation à taxer non seulement les biens meubles et immeubles situés en France, mais aussi les biens meubles et immeubles situés hors de France reçus par cet héritier (CGI art. 750 ter, 3°). Tel est le cas, au cas particulier, pour l’un des deux enfants, François, qui est domicilié à Bordeaux. Il est possible de synthétiser ainsi la situation de chacun des héritiers de M. Devaux quant au champ d’application des droits de succession dus en France :

Patrimoine taxable en France
Suzanne (résidente suisse)Part reçue sur les biens meubles et immeubles situés en France
Simon (résident suisse)Part reçue sur les biens meubles et immeubles situés en France
François (résident fiscal de France)Part mondiale reçue

4- On constate ici que la dénonciation de la convention fiscale a un impact majeur sur la situation de François, lequel sera imposé sur les biens situés en Suisse, à la fois en Suisse et en France.

Afin d’éliminer – à tout le moins de limiter – la double imposition des biens situés en Suisse, l’article 784 A du CGI permet à François d’imputer sur l’impôt dû en France au titre des biens situés hors de France, le montant de l’impôt déjà payé par lui en Suisse au titre des mêmes biens. Cette demande d’imputation de l’impôt  étranger  prend  la  forme  d’un  imprimé  Cerfa n° 2740-SD (BOI-FORM-000051). L’attention est ici attirée sur le fait que cette imputation est doublement limitée : d’abord, elle est limitée à l’impôt acquitté en Suisse au titre des seuls biens suisses ; ensuite, l’imputation se fait dans la limite de l’im- pôt français dû à raison des mêmes biens.

M. Devaux étant résident fiscal de Suisse, la Suisse imposera l’intégralité des biens de la succession, à l’exception toutefois des biens immobiliers situés en France (art. 11 de la loi vaudoise concernant le droit de mutation sur les transferts immobiliers et l’impôt sur les successions et donations – LMSD).

Patrimoine taxable en Suisse
Suzanne Simon François  Biens meubles et immeubles situés en Suisse et biens meubles situés en France

5- On constate ici l’existence d’une double imposition sur les biens meubles situés en France.

Afin d’éliminer cette double imposition, un mécanisme de crédit d’impôt est également prévu par le droit fiscal suisse. Il résulte en effet de l’article 28, al. 1- e de la LMSD que « sont déduits de l’actif brut de la succession : (…) e) l’impôt étranger sur les successions en cas de double imposition effective ». L’attention est ici attirée sur le fait que ce crédit d’impôt suisse ne fonctionne pas comme son homologue français : en Suisse, la déduction est appliquée non sur l’impôt dû, mais uniquement sur l’actif successoral taxable.

L’imposition en France des meubles meublants au forfait mobilier

6- En droit interne français, les meubles meublants, c’est-à-dire les meubles destinés à l’usage et à l’ornement des appartements (C. civ. art. 534), doivent figurer à l’actif taxable au titre des droits de succession. Leur évaluation est régie par l’article 764 du CGI qui édicte trois modes d’évaluation : la vente publique, l’inventaire et le forfait de 5 %. Ces modes sont hiérarchisés : l’existence d’une vente publique exclut les deux autres modes d’évaluation ; à défaut de vente publique, la valeur des meubles sera celle estimée dans l’inventaire; à défaut de vente publique et d’inventaire, la valeur des meubles ne pourra être inférieure à 5 % de la valeur des autres biens de la succession. Ce troisième mode d’évaluation, communément appelé « forfait mobilier », agit donc comme une double présomption d’existence et d’évaluation des meubles meublants : on ajoute à l’actif taxable un montant égal à 5 % de l’actif, au titre des meubles meublants. Ce troisième mode d’évaluation consiste en une déclaration estimative des parties, dont le montant ne peut être inférieur à 5 % de la valeur des autres biens imposables de la succession. En théorie, l’application du forfait de 5 % ne dispense pas les héritiers de  souscrire  une  déclaration  détaillée et estimative. En pratique, l’application du forfait prend la forme d’une simple mention dans la déclaration de succession et aucune déclaration détaillée n’est produite.

Il convient d’appliquer en premier lieu les critères conventionnels de répartition entre les deux États de la masse taxable

7- L’application de ce forfait de 5 % dans les successions internationales soulève diverses questions et force est de constater que des incertitudes et un certain flou demeurent dans la doctrine de l’administration fiscale française. Il convient de distinguer selon qu’il existe ou non une convention fiscale.

En l’absence de convention fiscale, « le forfait se calcule sur l’ensemble des valeurs mobilières, autres que les meubles meublants, et immobilières imposables en France » (BOI-ENR-DMTG-10-40-10-20 n° 90). Cette affirmation est immédiatement suivie d’un renvoi au BOI-ENR-DMTG-10-10-30 relatif à la territorialité des droits de succession et aux dispositions de l’article 750 ter du CGI, visées ci-dessus. Il en découle que l’assiette du forfait mobilier est donc fonction à la fois de la résidence du défunt et de celle des héritiers.

En présence d’une convention fiscale, les dispositions de celle-ci prévalant sur celles du droit interne français, il convient – à notre avis – d’appliquer en premier lieu les critères conventionnels de répartition entre les deux États de la masse taxable.

Plusieurs cas de figure sont possibles selon la répartition entre les deux États de la taxation des meubles, selon la méthode d’élimination des doubles impositions retenue par la convention et selon que la France a la qualité d’État de résidence du défunt ou uniquement celle d’État du lieu de situation des meubles. Nous supposerons ici que le défunt est non-résident et que la France a la qualité d’État du lieu de situation des meubles, comme dans notre cas d’espèce.

– S’il s’agit d’une convention appliquant la méthode de l’exonération assortie de la règle du taux effectif et que cette convention, en conformité avec le modèle de l’OCDE, prévoit que les meubles meublants ne sont imposables que dans l’État de résidence du défunt, la France, État de situation, devrait être considérée comme ne pouvant pas imposer ces meubles. Dans cette hypothèse, elle peut uniquement tenir compte de leur valeur pour déterminer le taux effectif applicable aux biens dont l’imposition lui est réservée par la convention. C’est donc seulement pour déterminer la cotisation de base – et ensuite le taux effectif – que la France pourra calculer le forfait de 5 % sur l’ensemble des biens qui seraient imposables en l’absence de convention, en vertu de sa législation interne. Ensuite, s’agissant de la masse effectivement taxable en France, elle devrait logiquement ne pas contenir du forfait mobilier, puisque par hypothèse, les meubles meublants ne sont imposables que dans l’État de résidence. Cette position est précisément défendue par le 115e Congrès des notaires de France qui soutient dans cette hypothèse que « l’application du forfait mobilier sur l’assiette des biens taxables en France reviendrait à rendre le mobilier taxable en France et à déroger au principe même de la répartition de l’imposition contenu dans la convention » (Rapport du 115e Congrès des notaires de France, n° 3522, p. 972).

-S’il s’agit d’une convention (appliquant la méthode de l’imputation ou la méthode de l’exonération) qui prévoit au contraire que les meubles meublants sont imposables dans l’État de leur situation, la France, État de situation, devrait être considérée comme ne pouvant imposer que les meubles meublants situés sur son territoire. Dans cette hypothèse, le forfait de 5 % peut être utilisé pour déterminer l’actif taxable en France, mais il sera calculé sur les seuls biens effectivement taxables en France en application de la convention. En d’autres termes, les biens non imposables en France au sens de la convention doivent être exclus de l’assiette du forfait. Telle est la solution retenue par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 23 mars 2007 qui a jugé, à propos d’un défunt résident de Suisse qui laissait des biens mobiliers et immobiliers imposables à la fois en France et en Suisse, que le forfait de 5 % ne pouvait être calculé, compte tenu de la convention fiscale franco-suisse alors en vigueur, que sur la seule valeur des biens situés en France, afin de ne pas créer une double imposition prohibée par la convention (CA Paris 23-3-2007 n° 05-8731).

8- La doctrine de l’administration fiscale française sur le sujet peut apparaître comme floue. En effet, elle affirme que « le forfait se calcule sur l’ensemble des valeurs mobilières, autres que les meubles meublants, et immobilières imposables en France » (BOI- ENR-DMTG-10-40-10-20 n° 90), mais elle considère également que « le forfait de 5 % applicable aux meubles meublants est déter- miné compte tenu de l’ensemble des biens imposables en France d’après la législation interne » (BOI-ENR-DMTG-10-50-70 n° 70). Cette apparente contradiction peut – à notre avis – être dissipée si l’on resitue ces deux affirmations dans leurs parties respectives : la seconde affirmation, selon laquelle le forfait se calcule sur les biens imposables « d’après la législation interne ».

(BOI-ENR-DMTG-10-50-70 n° 70) et qui semble – en apparence- faire fi des conventions fiscales –, se situe dans une partie intitulée « Détermination du taux effectif » et concerne donc uniquement la détermination de la cotisation de base.

La première affirmation, selon laquelle le forfait se calcule sur les biens « imposables en France » (BOI-ENR-DMTG-10-40-10-20 n° 90), se situe au contraire dans une partie plus générale sur les successions et l’évaluation des meubles. Comme nous l’avons vu, cette affirmation est immédiatement suivie d’un renvoi au BOI-ENR-DMTG-10-10-30 relatif à la territorialité des droits de succession et à l’incidence des conventions internationales. Il est donc possible d’en conclure, me semble-t-il, que s’agissant de la masse effectivement taxable, le forfait se calcule sur les seuls biens imposables en France au sens des conventions fiscales.

Enfin, il convient de noter que la doctrine administrative a accepté, dans l’hypothèse où le défunt est non-résident, mais possède des biens mobiliers et immobiliers taxables en France – en vertu de l’article 750 ter du CGI ou en vertu d’une convention fiscale – que le forfait n’est pas applicable à ces biens, dès lors que le défunt n’avait pas la jouissance d’une résidence en France.

Liquidation du forfait mobilier au cas d’espèce

9- Au cas particulier, depuis la dénonciation de la convention fiscale entre la France et la Suisse, le forfait de 5 % se calcule sur les biens imposables d’après la législation interne, à savoir les dispositions de l’article 750 ter du CGI. M. Devaux étant non- résident, il convient ici encore de distinguer selon la résidence fiscale de ses héritiers. Il en découle que l’assiette du forfait mobilier ne sera pas la même pour ses trois héritiers :

-pour Suzanne et Simon, tous deux non-résidents, le forfait mobilier se calculera uniquement sur les biens meubles et immeubles situés en France reçus par eux

-pour François, domicilié en France, le forfait mobilier se calculera sur sa part mondiale d’héritage.

 Assiette du forfait mobilier  AssietteForfait de 5 %
    SuzannePart reçue sur les biens meubles et immeubles situés en France    1 343 750 € (5/8 × 2 150 000 €)    67 188 €
    SimonPart reçue sur les biens meubles et immeubles situés en France    403 125 € (3/16 × 2 150 000 €)    20 156 €
FrançoisPart mondiale reçue3 028 125 € (3/16 × 16 150 000 €)151 406 €

L’inventaire dans un contexte international

10- Souvent, l’application du forfait mobilier sera génératrice d’un impôt élevé, soit parce que le défunt est résident, soit parce que l’héritier est résident, soit parce que le patrimoine taxable en France est important, soit encore en raison de l’application du taux effectif. Tel est le cas, en l’espèce, pour les héritiers Devaux. Dès lors, le recours à l’inventaire sera opportun.

En droit interne, l’inventaire doit être dressé dans les formes prescrites par l’article 789 du Code civil et dans les cinq ans du décès (CGI art. 764, I-2°). Il doit donc être dressé par un notaire et porter sur tous les objets mobiliers, lesquels doivent être estimés article par article. Il doit être réalisé dans les lieux mêmes, en présence du notaire. Il doit enfin être clos et contenir la prestation de serment par les héritiers de n’avoir rien omis.

La réalisation d’un inventaire dans un contexte international a soulevé diverses questions. En l’état actuel des textes, le notaire français n’a pas compétence pour se déplacer à l’étranger aux fins de dresser un inventaire des meubles meublants se trouvant dans les résidences du défunt situées hors de France. Il est donc préconisé de faire établir ces inventaires par le professionnel localement compétent (Rapport du 115e Congrès des notaires de France : L’international, Bruxelles 2019, n° 3505, p. 965). À défaut de pouvoir recourir à un tel professionnel, il convient de soutenir que la France devra se contenter d’une déclaration détaillée et estimative des parties. En toute hypothèse, il est préconisé que l’acte de clôture de l’inventaire, contenant la prestation de serment, soit toujours reçu en France, par un notaire français.

Là encore, nous ne pouvons qu’inviter l’administration fiscale française à préciser sa doctrine, afin de sécuriser le règlement fiscal des successions internationales.

Au cas particulier, les héritiers Devaux ont pu procéder efficacement à une ouverture des opérations d’inventaire, dans les lieux de la propriété près de Montreux, devant le notaire français. Il sera procédé ensuite à une poursuite d’inventaire, dans les lieux de la maison de Montreux, devant le notaire suisse, avant de procéder à la clôture en France et à la prestation de serment entre les mains du notaire français.

L’opportunité d’une vente aux enchères des pièces et lingots d’or

11- Les dispositions susvisées de l’article 764 du CGI s’appliquent également pour déterminer la valeur des meubles corporels autres que les meubles meublants, à l’exception toutefois du forfait mobilier.

Les pièces et lingots d’or, cotés au marché libre de l’or à Paris, constituent un cas particulier et sont « imposés aux droits de mutation par décès d’après les cours pratiqués le jour de la transmission » (BOI-ENR-DMTG-10-40-10-20 n° 130).

Au cas d’espèce, on constate que depuis la date du décès (11 septembre 2020), le cours de l’or a fortement baissé. Il sera donc conseillé aux héritiers Devaux de procéder à une vente aux enchères publiques, des pièces et lingots d’or de la succession, dans les deux ans du décès, dans les conditions prévues à l’article 764 du CGI. Ainsi, il sera possible de retenir, pour le calcul des droits de succession dus en France, non pas la valeur de l’or pour son cours au jour du décès, mais pour le prix obtenu lors de la vente aux enchères et de réduire ainsi les droits de succession dus en France.

L’attention du praticien sera ici attirée sur les frais et la fiscalité afférente à une telle vente. En ce qui concerne la fiscalité, en principe, la vente de l’or rend exigible, pour les résidents français, une taxe forfaitaire calculée sur le prix de vente au taux de 11 % à laquelle s’ajoute 0,5 % de CRDS, soit une taxation globale forfaitaire de 11,5 % (CGI art. 150 VI), laquelle tient lieu d’impôt sur la plus-value. Toutefois, il est possible d’opter pour le régime d’imposition de droit commun des plus-values sur biens meubles (CGI art. 150 UA), à condition de pouvoir justifier de la date et du prix d’acquisition de cet or. Au cas particulier, l’inventaire permettant de justifier de la date et du prix d’acquisition, il sera opportun d’opter pour le régime de la plus-value. L’impôt sera donc égal à 0 €. Il est facile de démontrer que les lingots hérités sont les mêmes que ceux cédés, les lingots étant numérotés. Tel n’est pas le cas des pièces de monnaie. Il sera donc conseillé aux héritiers Devaux de céder la totalité des pièces, pour bien montrer l’identité de leur nombre.

Les non-résidents sont exonérés de cette taxe. En ce qui concerne les frais de la vente organisée par le commissaire-priseur français, il convient de savoir qu’il existe des frais à la charge du vendeur et des frais à la charge de l’acquéreur. À titre purement indicatif, il est possible de rencontrer des taux de frais vendeur faibles voire nuls (ce point est important car en présence de frais à la charge du vendeur, ces frais ne sont pas déductibles), et des taux de frais acheteur de l’ordre de 8 à 12 %.

Au cas particulier, la vente de l’or en France permettra – eu égard à la baisse du cours – de réduire les droits de succession dus en France et ce, sans générer de frais ni de fiscalité.

La réalisation d’un inventaire dans un contexte international soulève diverses questions

Le cercle vicieux des crédits d’impôts

12- La France et la Suisse connaissent toutes deux, dans leur droit interne, un système de crédit d’impôt visant à éliminer, à tout le moins à limiter, la double imposition des successions internationales.

Côté français, nous avons vu que François Devaux, qui est imposé en France sur sa part mondiale d’héritage, est en droit de déduire de l’impôt dû en France au titre des biens situés en Suisse, le montant de l’impôt qu’il a déjà payé en Suisse au titre des mêmes biens (CGI art. 784 A).

Côté suisse, nous avons vu qu’eu égard à la résidence de feu M. Devaux, ses héritiers sont imposés, en Suisse, sur l’entière succession, exception faite des immeubles français. Afin d’éliminer la double imposition effective des meubles situés en France, les héritiers sont autorisés à déduire de l’actif taxable en Suisse, le montant de l’impôt qu’ils ont déjà payé en France au titre des meubles français.

Chacune des administrations fiscales française et suisse exige, pour accorder la déduction, que l’héritier lui fournisse, non seulement un justificatif du montant de l’impôt étranger, mais aussi un justificatif du paiement effectif de cet impôt.

Cette exigence de la preuve du paiement de l’impôt étranger engendre un cercle vicieux, l’administration française exigeant un justificatif émanant de l’administration suisse, laquelle exigeant un justificatif émanant de l’administration française.

La solution est pragmatique et suppose un échange entre le notaire et l’une des deux administrations concernées. Un tel échange est possible avec l’administration fiscale suisse. Il pourra conduire, par exemple, l’administration suisse à accepter de liquider son impôt sur présentation de la déclaration fiscale française de succession alors même que celle-ci serait encore à l’état de projet.

Guillaume SOUDEY, Notaire à Gardanne (Groupe Excen), chargé d’enseignement à l’Aurep (Gestion Internationale du Patrimoine), rapporteur du 50e congrès du MJN (L’international : le Guide Pratique), auteur de « L’Estate Planning » (Lexis Nexis)

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